(Ivan Grosnyy)
1944
réalisé par: Sergei M. Eisenstein
avec: Nikolay Cherkasov, Lyudmila Tselikovskaya, Serafima Birman
Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Ivan le terrible” de Sergei M. Eisenstein.
Pourquoi se mettre des barrières lorsqu’on parle de cinéma? Pourquoi le grand public replonge volontiers dans les films les plus anciens européens ou américains alors que dans le même temps, il s’interdit certains continents? Ces questions, Les Réfracteurs se les posent depuis des années sans y trouver de réponse tangible. Il y a du talent partout autour du globe lorsqu’on parle d’art et se pencher sur des oeuvres plus confidentielles permet souvent d’élargir son champ culturel pour mieux comprendre certaines références qui émaillent nos films préférés. Aujourd’hui, on vous propose de sortir de votre zone de confort et on vous met au défi: parlons d’un film russe, de 1944, avec “Ivan le terrible” de Sergei M. Eisenstein, une pointure du cinéma mondial.
Ivan (Nikolay Cherkasov), c’est le nom d’un monarque russe, prince de Moscou, qui a unifié le pays pour en faire une nation puissante. Dans son ombre prennent pourtant place de terribles machinations élaborées par ceux qui ont perdu le pouvoir et ceux qui le convoitent, au mépris des intérêts du peuple.
Ivan porte une vision d’avenir, les prémices d’un empire qui étalera son règne pendant des siècles et des siècles alors que les nobliaux les plus médiocres s’accrochent à leurs privilèges. Cette représentation de la Russie n’est pas innocente et Eisenstein fait écho avec ce personnage à sa propre époque. En 1944, les bases de l’URSS sont posées et impossible de ne pas y voir un parallèle. À tel point que ce film, censé être livré sous forme de trilogie, sera amputé à jamais de son troisième volet jugé trop subversif.
Car Ivan est un homme prétentieux, frappé par la folies des grandeurs. Son règne est sans humanité pour ce suzerain terriblement va-t-en-guerre. Un simple homme qui a la prétention de se croire divin, comme en atteste la scène de son couronnement, et qui va chuter lentement de son piédestal à mesure que les trahisons s’affirment. À l’échelle humaine, “Ivan le terrible” est un récit de jalousie et de couardise qui s’oppose à l’orgueil du personnage principal.
Si l’oeuvre reste très digeste, les intrigues secondaires et les personnages annexes sont si nombreux qu’il est parfois complexe de s’y retrouver. La narration d’Eisenstein est bonne mais sa volonté d’exhaustivité historique peut parfois gêner la compréhension.
« Salut à toi Peter Pan »
Pour autant, le génie du cinéaste éclabousse la pellicule dans un film qui va marquer tout un pays. “Ivan le terrible” c’est déjà une oeuvre de grand spectacle pour l’époque, frappée par une ambition démesurée de la part du réalisateur. Des décors et des costumes finement travaillés et un nombre de figurants incalculable affirment cette volonté. Évidemment, aujourd’hui on reçoit le film différemment, mais si on se replace au moment de sa sortie, on comprend que le long-métrage cherchait à séduire un public le plus large possible pour le questionner.
Mais la richesse artistique d’“Ivan le terrible” ne s’arrête pas à un simple étalage outrancier, Eisenstein est un des plus grands génies de son époque. Il affirme avec son film un cinéma fait de visages très expressifs, un brin terrifiants. Une technique héritée du cinéma muet mais qui va définir le cinéma russe pendant des décennies et dont se réclamerait presque Tarkovski.
Le jeu d’ombres et de lumières se fait aussi excellent. Que ce soit l’éclairage artificiel invisible ou les bougies qui s’affichent à l’écran, Eisenstein impressionne. C’est prépondérant dans une scène particulière où Ivan est à son bureau. Sur le mur se projette son ombre caractéristique mais aussi celle d’un globe terrestre symbolisant la démesure des aspirations de l’empereur. Du génie!
Appuyons enfin le sens de la symétrie du cinéaste. Régulièrement, l’image se fait parfaitement partagée visuellement mais on met aussi en avant ces scènes au cadrage travaillé et où la place qu’occupe chaque personnage prend un sens particulier. Eisenstein révolutionne toute une grammaire cinématographique avec un raffinement esthétique absolu.
Pour plonger dans “Ivan le terrible”, il faut avoir une curiosité pour l’Histoire du cinéma. Pour ceux qui en sont pourvus, le film apparaît comme un long-métrage fondateur de toute une école russe qui s’en inspire encore aujourd’hui.