Tastr Time: Il était une fois en Amérique

(Once Upon a Time in America)

1984

réalisé par: Sergio Leone

avec: Robert De NiroJames WoodsElizabeth McGovern

Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Il était une fois en Amérique” de Sergio Leone.

Tout au long de sa carrière, Sergio Leone n’a eu de cesse de nous faire voyager à travers des époques et des lieux différents. Ses westerns, bien évidemment, sont rentrés dans la postérité, mais on peut même trouver un péplum dans sa filmographie, preuve que le maître savait s’adapter et fût un génial touche-à-tout. Alors Leone, réalisateur-historien? Peut-être bien, et l’exemple sur lequel on va s’attarder aujourd’hui, “Il était une fois en Amérique” aurait tendance à confirmer cette thèse. Une fresque démentielle, titanesque par sa durée (près de 4h qui passe en un éclair) mais surtout par son ambition, celle de tisser derrière les péripéties de son récit un portrait complet des USA du 20ème siècle.

Son histoire s’étale sur plusieurs décennies, de l’industrialisation des années 1900 à la modernisation des 70’s/80’s, avec pour repère deux éléments constants: le lieu, New-York, et les personnages, Noodles (Robert De Niro) et sa bande d’amis, tous des gangsters de haut vol unis par un lien indéfectible. À travers une succession de flashbacks, c’est la trajectoire tragique de ces hommes que l’on va suivre et tout spécialement l’amitié fusionnelle entre le personnage principal et Max (James Wood) alors que Noodles revient dans la grosse pomme après des années d’exil.

Tout ce jeu temporel va être un formidable moteur du film. Leone renvoie sans cesse la balle entre le présent de son récit et les souvenirs de Robert De Niro. Une narration connue, qui rappelle “Citizen Kane” dans son concept, proposée par un génie du septième art avec une maîtrise de l’émotion parfaite. De Niro est tel un fantôme qui hante les souvenirs d’une gloire passée, un personnage qui rappelle par instant Charles Bronson dans “Il était une fois dans l’Ouest”. Leone utilise ce concept pour chahuter le spectateur, lui imposer une vision différente du “rêve américain” dans lequel les bandits remportent la mise. C’est toute la construction historique d’un système social, économique et politique que le cinéaste remet en perspective pour mieux faire ressortir le vice et les turpitudes des institutions.

Pour autant, c’est un récit intime, à échelle humaine, que Leone étale. À travers son histoire, “Il était une fois en Amérique” met en parallèle amitié et business pour réfléchir à leur compatibilité. Noodles est un émotif, un sincère, un véritable pote pour qui l’humain prime sur le reste. Max est lui un homme d’affaires obsédé par le dollar. L’argent corrompt les gens et le grand Sergio va s’approprier cette idée dans cette épopée magnifique et en opposant ces deux personnages,  il bouleverse le spectateur, le force à se remettre en question quand à sa façon d’appréhender la société.

« C’est beau Brest. »

Pour susciter cette réflexion, le réalisateur va proposer volontairement une vision un peu fantasmée du banditisme. La bande de Noodles est soudée comme une véritable famille, celle que l’on choisit, pas celle que la naissance nous impose. Des débuts “canailles”, presque potaches et bon enfant, aux crimes les plus graves, Leone nous implique émotionnellement, même dans les séquences les plus dramatiques. On est membre de ce gang à part entière depuis notre fauteuil, on ressent cette chaleur humaine.

Ce sentiment, il est exacerbé par la grammaire cinématographique du cinéaste. Comme pour ses autres longs-métrages, Leone propose un cinéma de visages et de regards avec un sens du timing parfait qui laisse planer une atmosphère inimitable sur son oeuvre. Le réalisateur magnifie ses acteurs, les tire collectivement vers le haut, en extrait le meilleur par de simples attitudes ou des traits de caractère. Le marionnettiste donne vie à ses pantins, leur confère une âme.

Le génie de Sergio Leone s’épanouit également dans certains plans plus larges où le décor se fait grandiose, offre un cadre parfait à l’histoire. Un travail de photo démentiel habite le film. Impossible de se détacher par exemple des vues du pont de Brooklyn en arrière-plan alors que la bande à Noodles déambule dans les rues. Accentuée par la musique de Morricone, on y est, on caresse le divin, le 7ème art dans ce qu’il a de plus parfait, un ressenti unique.

Mais Sergio Leone ne se contente pas de belles prises de vue, il va également chercher dans certaines scènes une narration intelligente. On garde en tête par exemple la scène où Deborah (Elizabeth McGovern), actrice et ancienne flamme de Noodles, se démaquille dans sa loge et révèle les secrets de l’intrigue. Plus son visage se défait de son fard, plus le mystère se dissipe. Ce genre d’idées pullulent dans “Il était une fois en Amérique” et en fait un bijou étincelant.

Leone est sans conteste l’un des réalisateurs les plus talentueux de tous les temps et “Il était une fois en Amérique” est un héritage précieux que nous laisse le cinéaste. Une pellicule où se côtoient un visuel somptueux et une histoire bouleversante.

Nicolas Marquis

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