Shéhérazade

2018

de: Jean-Bernard Marlin

avec: Dylan RobertKenza FortasIdir Azougli

« Et pourquoi que nous qu’on pourrait pas faire comme les ricains heins?!!?” C’est en ces termes éclairés que Jean-Jacques, expert culture au café des sports dressait un douloureux constat sur le film de voyous à la française. Il est vrai qu’étrangement, depuis plusieurs années, et alors qu’on parlait d’une véritable école par le passé, le polar français tire un peu la gueule. Arrive devant nous “Shéhérazade”, millésimé 2018, et toute sa francofolie derrière lui. On embarque pour les quartiers Nords de Marseille.

À peine sorti de prison, Zachary (Dylan Robert) lutte pour garder la tête hors de l’eau. Petit à petit, il va retomber dans la délinquance, et plus précisément le proxénétisme. Mais parmi les femmes qui tapinent pour lui, il éprouve une attirance toute particulière pour Shéhérazade (Kenza Fortas): une romance qui va précipiter leurs malheurs.

Tellement précipiter la chute qu’on doit bien reconnaître que le film est cousu de fil blanc. On va même parler de dirigisme presque scolaire dans la construction de ses héros. Certes, ils fonctionnent, mais c’est dommage d’être venu piocher dans un vivier de talents inexploités pour ensuite se réfugier dans le conformisme.

En ce qui concerne l’honnêteté de la rue par contre, on y est. Le film sent le vécu en même temps que le macadam. “Shéhérazade” est l’oeuvre d’un cinéaste (Jean-Bernard Marlin) qui maîtrise son sujet et pianote efficacement sur toute la grammaire du polar pour gagner en épaisseur sans désunir le tout.

La trajectoire de Zachary est à ce titre aussi logique que dramatique. On admet tellement facilement ce personnage qu’on fait d’entrée le deuil de tout espoir de réinsertion. Voilà qui en dit long sur l’état d’une société qui s’indigne de tout sauf de l’essentiel: l’humain. “Shéhérazade” est un constat d’échec sur la politique actuelle. La rue n’offre aucune issue honorable pour les moins bien lotis. L’amour de Zachary et Shéhérazade est du même acabit, cru mais réaliste.

« Un peu de douceur dans un monde de brute. »

Mais ne nous trompons pas de combat, on ne parle pas ici d’espoirs morts-nés, mais bien de quartiers entiers vidés de toute perspective. “Shéhérazade” sent la bouche d’égoût et la pisse, et tant pis si le miroir ne vous renvoie pas une jolie image. Un coup de poing, pas une caresse.

Pour parvenir à ce résultat, le film s’appuie sur une bonne cote de sympathie qu’apporte le héros. Son air désabusé, son ras le bol mais également ses fêlures et ses limites. Tout cela compose un personnage qu’on a envie d’aimer, aussi voyou soit-il. Sans être compatissant, “Shéhérazade” ne caricature pas non plus.

Malgré ses apparences subtiles où l’œil doit interpréter, le réalisateur Jean-Bernard Marlin insuffle suffisamment de logique dans sa prise d’images pour amplifier son message. Pensons à sa façon de faire virevolter la caméra pour gagner en confusion et plonger le spectateur dans une spirale infernale. Ou encore sa façon d’utiliser intelligemment la musique, du classique à l’électro pour amener des ambiances variées.

Puis il y a le verbe qui accompagne l’image. Un parler méditerranéen inimitable, toute une langue faite d’expressions imagées, et perpétuellement revisitées par les provençaux. “Shéhérazade” rappelle que la francophonie est libre, qu’elle évolue et se réinvente au confluent de tradition et nouvelle génération.

Pour ceux qui souhaitent vibrer 2h avec un film poignant venu de notre contrée, “Shéhérazade” remplit bien son objectif initial: pas de compromis, pas de complaisance.

Nicolas Marquis

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