R100

2013

réalisé par: Hitoshi Matsumoto

avec: Nao OhmoriMao DaichiShinobu Terajima

Il y a quelques semaines de celà, on évoquait ensemble “Saya Zamurai”, une oeuvre aussi loufoque qu’addictive signée Hitoshi Matsumoto. On retrouve le cinéaste japonais aujourd’hui pour “R100”, son film suivant et le dernier en date. L’occasion en avant-propos de réitérer tout notre amour pour ces long-métrages complètement perchés, ceux qui nous font rire et réfléchir en passant par l’absurde. Ce procédé, on l’aime car c’est toujours un vrai tour de magie d’aller autant dans l’abstrait pour nous faire remettre en perspective notre quotidien. Alors, nouvelle réussite ou noyade, réponse en quelques lignes.

« R100” c’est l’histoire de Takafumi (Nao Ohmori), un père de famille contraint d’élever seul son jeune fils, sa femme étant dans le coma. Pour pimenter son quotidien, il va faire appel au “Bondage”, un club SM qui vend des services particuliers: à tout moment, une dominatrice peut surgir dans votre quotidien pour vous foutre une sacrée rouste, souvent de manière saugrenue.

Malgré la composante SM du scénario, on vous rassure immédiatement: si “R100” reste une œuvre complètement loufoque, c’est aussi une pure comédie. Son propos échappera sûrement aux plus jeunes, mais les scènes les plus osées n’étalent absolument pas une violence gratuite, mais au contraire un aspect purement loufoque. L’important n’est pas dans la violence mais dans le rire pour le cinéaste et tant mieux, il s’y épanouit parfaitement.

On pense notamment à sa science du timing: attente, répétition, accumulation… Matsumoto s’amuse autour de sa structure de base et affirme une fois de plus sa maîtrise du rythme. Théoriser ne suffit pas, il faut savoir également accrocher le spectateur et “R100” peut se vanter d’être une belle réussite dans ce domaine.

Certes, certains gags apparaissent un peu gratuits, admettons que ce soit le prix à payer pour savourer son petit shot de bizarrerie japonaise. Le film s’inscrit dans la veine des œuvres nippones bien perchées qui à première vue sont juste étranges alors que le long-métrage renferme un propos plus complexe.

« Ha non! Pas le café! »

Cette profondeur est tout de même bien cachée derrière le maquillage de la comédie et on aurait tendance à penser que chacun a sa petite explication perso sur “R100”. Pour nous, le film est apparu comme un traité autour de la frustration. Ce sentiment si détestable d’être enfermé dans un carcan, et l’aspiration que l’on a à vouloir s’émanciper des conventions qui nous enchaînent.

Cette frustration, c’est d’abord celle du héros. Les dominatrices qui le punissent apparaissent à des moments-clés où le personnage principal s’en voudrait d’éprouver d’autres sentiments que ceux qu’il a pour sa femme dans le coma. Dans la première moitié de l’œuvre, c’est comme si Takafumi acceuillait sa punition volontairement.

Puis le film bascule et notre héros va combattre ce sentiment. Alors que les services de “Bondage” ne lui correspondent plus, l’annulation est prohibée, et c’est une véritable guerre qui s’organise. Le symbole sociétal est là pour ceux qui souhaitent le découvrir.

Mais ce traité sur la frustration ne s’arrête pas à Takafumi, au contraire. Très intelligemment, le film va exploser le quatrième mur pour étendre ce propos. Cette frustration, c’est celle du spectateur noyé dans une histoire si dure à assimiler, mais aussi celle des producteurs qui ne comprennent eux aussi rien au film.

Mais en même temps qu’on affirme notre vision de “R100”, il faut bien reconnaître qu’on se plante peut-être totalement! Vous y verrez sans doute des choses un peu différentes et vous pourriez parfaitement défendre votre ressenti personnel. Il est là le tour de force du long-métrage: permettre à chacun d’y voir quelque chose qui lui parle en même temps qu’on fait le deuil de certaines explications du scénario auxquelles on ne trouve pas de réponse.

Impossible pourtant de nier que “R100” est complet et palpable. Aussi incohérent soit-il de prime abord, il finit par former un tout qui tient debout même s’il vacille parfois. C’est la marque de Matsumoto et son cinéma de société mais aussi de l’étrange.

En manque de curiosité japonaise qui invite au sourire? Alors “R100” devrait vous combler. Un peu de réflexion entre deux fous rires, voilà un bien agréable traitement.

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

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