Psychose

(Psycho)

1960

de: Alfred Hitchcock

avec: Anthony PerkinsJanet LeighVera Miles

Oyez oyez! En ce terrible jour, que soit noté que Les Réfracteurs, n’utilisant que leur courage indéfectible, décident enfin de s’attaquer aux grands classiques. Et en cette période d’enfermement forcé, le long-métrage qui nous a semblé le plus approprié pour entamer ces visionnages au pays des films cultes n’est autre que le célebrissime “Psycho” de Alfred Hitchcock. Étude humble et non exhaustive des choses qui ont fait de l’oeuvre une base pour les 60 ans de cinéma suivants.

Avant-propos: si vous n’avez jamais vu “Psycho”, c’est une lacune artistique majeure. Pire, vous êtes une honte, une injure au septième art, car chers amis, aujourd’hui on caresse le divin. On ne peut pas mesurer à quel point le film d’Hitchcock a bouleversé le monde du cinéma, à quel niveau il a repoussé les limites, avec quels répercussions il a imposé une grammaire encore copiée aujourd’hui plusieurs fois chaque année, sans presque jamais atteindre le degré de raffinement de “Psycho”. “Raffinement”, c’est juste une façon à peine déguisée de parler de maniaquerie. Quand on en vient à calculer le débit de l’eau qui s’écoule du pommeau d’une douche, et tester différentes textures de rideaux pour s’assurer que l’opacité du plastique imperméable transparent suggère suffisamment une silhouette sans l’affirmer clairement, pour ne pas trahir le suspense de toute la seconde moitié de son film, c’est qu’on est soit fou, soit génial.
 

Cette fameuse scène de la douche, on se doit de lui faire honneur en l’évoquant la première. Déjà parce que sans le vouloir, on la connaît tous. Elle fait partie de l’imaginaire collectif. Ceux qui ne sont jamais tombés dessus explicitement l’ont découvert sans le savoir dans des parodies ou des pastiches. Mais aussi et surtout parce que cette séquence est un axe très clair du long-métrage. Un segment qui marque la frontière entre deux films presque différents. 7 jours de prises de vues, consacrés à 45 secondes de film, soit un tiers du temps de tournage total. Et ce montage abrupt comme les coups de couteau qu’il met en scène, au rythme des notes stridentes d’une musique elle aussi pour toujours au panthéon du cinéma. C’est moins d’une minute et c’est pourtant la quintessence du septième art de l’époque. Sur la pellicule en noir et blanc, le contraste du sang sur la peau de Janet Leigh est glaçant, et l’éclat de son oeil qui s’efface à mesure que la vie quitte son personnage inoubliable. Et la malice de Hitchcock pour suggérer la silhouette d’un meurtrier (ou meurtrière): un plan suffisamment long pour avoir quelques intuitions, suffisamment court pour n’avoir aucune certitude. On vous le redit: 60 ans plus tard, on ne saurait dire avec conviction si un crime fût plus savamment filmé depuis.

« Contrôle d’une attestation de déplacement dérogatoire. Mars 2020 »

Mais comme nous le disions, cette scène se mérite, elle n’intervient que vers la moitié du film, tranchant son fil narratif. Jusque-là, nous suivions la fuite de Marion (Janet Leigh), qui après avoir dérobé 40 000 dollars à son patron va prendre la route. Cette première partie, c’est déjà une bible du noir et blanc. Angles de vue novateurs, mais surtout une science inégalée pour l’éclairage. Toute la culpabilité des personnages de “Psycho” se reflète en ombres sur leur visage. Ainsi, à mesure que Marion fuit, les lumières se font plus diffuses, sa peau apparaît plus terne, ses habits moins éclatants, jusqu’à la douche, symbole à la fois d’intimité mais aussi de pureté retrouvée que le film lui interdit: ne dit-on pas “se laver de ses péchés”? Marion n’ira pas au bout de son nettoyage, ni physique, ni moral.

Le parcours du personnage de Janet Leigh est une véritable descente aux enfers, allant de délits de plus en plus grave. Une chute morale perpétuelle. D’abord à travers une simple relation hors mariage (une autre époque, précisons) puis un vol, puis la fuite…La pente sur laquelle est Marion est savonneuse, impossible de rebrousser chemin. Cette déchéance des valeurs, Hitchcock la traduit magnifiquement dans une scène d’apparence très simple, durant laquelle Janet Leigh conduit. S’ouvrant de jour, on peut déjà lire la culpabilité sur son visage. Dans sa tête, et restituées par des voix-off, des phrases qu’elle imagine sorties des bouches de ceux à qui elle a porté préjudice. Des personnages qui se font de plus en plus accusateurs à mesure que la nuit tombe et que les ombres se font de plus en plus opaques. 

Un jeu de lumière qui trouvera écho également dans la façon qu’a Hitchcock de filmer un autre protagoniste: Norman Bates (Anthony Perkins). Le mystérieux propriétaire du motel où Marion est assassinée semble toujours à la limite entre ombres et lumières qui partagent parfaitement son visage en deux. Pour piéger le public, Hitchcock va appuyer cette dualité dans le décor du film. La passion de Norman: la taxidermie. Naturellement donc, le long-métrage pullule d’oiseaux (déjà) empaillés. Ni vivants, ni morts, mais entre les deux, ils sont les funestes compagnons de Norman et de son hôtel aux airs de purgatoire.

C’est d’ailleurs l’une des plus belles performances de l’époque qu’offre Anthony Perkins. Complice du scénario, il joue tellement finement cette dualité que c’est presque grâce à lui, à son côté cynique et vicieux que le film possède un tel plaisir de revisionnage.

Mais ce que “Psycho” a peut être réussi le mieux, c’est bouleverser toute une tradition de la narration, sans que l’on s’en rende compte. La douche est une frontière, nous vous l’avons dit. Avant elle, un film simple, un protagoniste principal, Marion, et son parcours. Après lui, les codes volent en éclats. En se débarrassant de son actrice principale, Hitchcock va manipuler son audience, en changeant perpétuellement de point de vue. On suit Norman, puis un détective privé, puis la sœur de Marion, etc… sur un rythme effréné mais toujours fluide. En tuant Janet Leigh, le Maître tue aussi sa narration, la découpe elle aussi au couteau, pour ne plus offrir aucun repère fixe au spectateur. Voilà comment une œuvre révolutionne son support: en cassant les codes de son époque pour servir son histoire.

On vous l’a dit: si vous ne l’avez pas vu, c’est une expérience à faire au moins une fois dans la vie d’un cinéphile. Tout simplement parce que “Psycho” est l’un de ces long-métrages à propos desquels on peut clamer haut et fort: “Il y a un avant, et un après”.

Nicolas Marquis

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