Birds of Prey et la fantabuleuse histoire de Harley Quinn

(Birds of Prey: And the Fantabulous Emancipation of One Harley Quinn)

2020

de: Cathy Yan

avec: Margot RobbieRosie PerezMary Elizabeth Winstead 

On vous le promet: on aurait aimé avoir tort. On aime tellement Harley Quinn qu’on rêve réellement du jour où elle aura le droit à une adaptation cinématographique à la hauteur de notre affection pour ce personnage. Seulement voilà, il existe des films où dès les premières annonces, avant même les premières images, ça sent mauvais. D’ailleurs, avant la sortie du film, dans le tout premier édito des Réfracteurs, nous vous faisions part de notre inquiétude quant au traitement infligé par DC à la super-vilaine. On vous le répète: on aurait voulu se tromper et on ne tire aucune gloire d’avoir senti l’odeur du navet avant la sortie du long-métrage. Chronique d’un film condamné dès son ébauche.

Nous ne vous ferons pas l’injure d’un paragraphe qui résumerait le scénario: il n’y en a pas réellement. “Birds of Prey” est l’un de ces films à l’écriture facile, qui se contente d’aligner les personnages mal dégrossis autour d’un enjeu qui n’est là que pour la narration. Le film se repose entièrement sur la personnalité de ses protagonistes, et dans l’absolu certains films s’en sortent ainsi. Seulement pour cela, il faut quelques talents d’écriture et ne pas se contenter de surfer sur la vague féministe actuelle. D’ailleurs, nous serions les premiers clients d’une oeuvre qui réunirait exclusivement des super-héroïnes, si celles-ci étaient suffisamment travaillées. Dans “Birds of Prey”, tout ce sous-texte est tellement pris à la légère, malgré les souffrances de notre époque, que le film tourne à l’injure envers l’intelligence féminine.

Il y a bien une scène, où Black Mask (Ewan McGregor, qui est tombé bien bas) force une femme à danser sur la table d’une boîte de nuit, sous la menace. Problème: quand “Birds of Prey” a passé les 40 minutes précédentes à représenter l’antagoniste comme un débile profond, cette diatribe perd toute profondeur. Un message politique noyé dans une avalanche d’humour scatophile, c’est l’assurance que personne ne l’assimilera. Toute la construction du vilain est à jeter aux ordures, en même temps que le reste: lourdingue et idiot, on nous ressort même avec paresse le sempiternel méchant qui établi son QG dans une boite de nuit. Après “Suicide Squad”, c’est à croire que tous les criminels de Gotham sont gérants de night-club.

On ne pourra toutefois pas accuser “Birds of Prey” de manque de parité: cette construction bancale n’est pas le panache de Black Mask uniquement, mais s’étend à tous les personnages, et donc évidemment aux femmes qui composent l’équipe qui donne son nom au film. Toutes leurs origines sont expédiées à la va-vite, et à plus forte raison, rien n’est creusé dans leur parcours. Pour un long-métrage qui utilise le terme “émancipation” dans son titre, c’est culotté. Seule exception: Harley Quinn. Mais problème, on nous ressort la version grossière qui avait déjà entaché “Suicide Squad”. L’apogée de la fainéantise du scénario, c’est probablement la rapidité avec laquelle ces dames vont trouver un terrain d’entente pour s’unir, alors que presque tout les oppose. Les dilemmes sont réglés en une poignée de secondes: on vous le répète, “Birds of Prey” est presque une injure aux femmes.

« Oracle tentant de fuir le film »

Même l’action ne nous a pas satisfait. Dès lors que les combats mettent en scène plusieurs héroïnes, la réalisation devient fouillie, pour ne pas dire illisible. On sauvera à la rigueur une seule scène, celle où Harley Quinn pénètre dans un commissariat, lance-grenade à la main, et canarde les policiers à coups de fumigènes multicolores et autres bombes à paillettes. Une proposition visuelle intéressante, qui colle à l’ambiance même si elle ne nous convient pas. Conscient d’avoir là une vague séquence réussie, le film va la partager en deux, profitant de sa chronologie éclatée. De quoi camoufler la misère.

Cette construction, tout en flashbacks complètement mélangés, n’est qu’un artifice pour entretenir le peu d’adrénaline que procure le film, mais aussi pour masquer ses défauts. Nous vous invitons à faire un petit exercice chez vous, une fois le film vu: reconstituez son intrigue chronologiquement. Immédiatement vous apparaîtront des erreurs grotesques, des rebondissements téléphonés, et surtout une histoire chiante à mourir.

Mais ce qu’on a le plus envie de reprocher à DC, c’est sans doute cette faculté à ne tirer aucune leçon de ses erreurs, et encore moins de celles des autres. Pour être plus précis, rappelez-vous la sortie de “Justice League” (navré de vous le remettre en mémoire). L’un des principaux défauts du film était le manque total d’attachement aux personnages. Et c’est bien normal, ce qui fonctionne dans “Avengers”, c’est l’association de héros qu’on a découverts dans des films précédents, des protagonistes auxquels nous sommes déjà attachés affectivement. “Justice League” avait lui tenté d’introduire trop de nouveaux personnages d’un coup, et en avait payé le prix fort. “Birds of Prey” va commettre exactement la même erreur. Black Canary, Huntress et Renée Montoya, nous les connaissons certes dans d’autres médias, mais la version proposée par “Birds of Prey” impose trop rapidement ces personnages, d’une manière totalement bâclée. De quoi se désintéresser totalement de leur trajectoire.

Deuxième leçon des erreurs passées que DC n’a pas su tirée: cette façon de revenir régulièrement à la grammaire de “Suicide Squad”. Maquillages et tenues vulgaires, et pas seulement pour Margot Robbie, enjeux inintéressants et patte graphique ratée sont à nouveau au rendez-vous. Quand en plus le film multiplie les inserts façon tag pour décrire un nouveau protagoniste de l’intrigue, on se dit que Cathy Yan, la réalisatrice, est sans doute la seule personne sur terre à avoir aimé l’injure au cinéma qu’était “Suicide Squad”.

Enfin, troisième leçon non retenue: cette manière de proposer une émulation féminine de “Deadpool”. Probablement hypnotisés par le succès de l’anti-héros de Marvel, les producteurs de “Birds of Prey” vont en adopter les codes, même les moins pertinents. Flashbacks réguliers, voix-off pour la narration et surtout cet humour bien vulgaire, qui marchait vaguement sur certains dans “Deadpool”, mais qui manque complètement son coup ici. Pour être honnête, Les Réfracteurs aiment bien, eux aussi, rire par moments de quelques blagues en dessous de la ceinture, mais même cela “Birds of Prey” n’y arrive pas. Pathétique.

Il n’y a rien de plus triste en terme de cinéma qu’un produit marketing taillé pour un public qui n’existe même pas. “Birds of Prey” tombe directement dans cette abysse de paresse. La seule bonne nouvelle reste que l’échec commercial du film devrait enterrer cette version du DCverse, enfin espérons…

Nicolas Marquis

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