Minari

2020

Réalisé par: Lee Isaac Chung

Avec: Steven Yeun, Han Yeri, Youn Yuh-jung

Faussement érigé en exemple pendant des décennies, le modèle d’intégration américain n’est pourtant pas aussi vertueux qu’on pourrait le croire. La vie est dure aux USA pour ceux qui ont dû quitter leur terre natale en quête de leur rêve, souvent esseulés et leurs différences pointées du doigt. Mais pourtant, et “Minari” va également le souligner avec justesse, le pays de l’oncle Sam reste une terre d’opportunité pour ceux qui font le choix de l’exil. Un long métrage qui tire son nom d’une plante coréenne qui pousse souvent à l’état sauvage: tout un symbole qui colle au film alors qu’on va suivre le parcours d’une famille de la péninsule asiatique qui migre aux States dans les années 80 pour tenter de vivre l’obsession du père, celle de vivre de l’agriculture.

Going up the Country

S’attarder sur “Minari”, c’est avant tout s’imprégner de son ambiance douce et planante. Le long métrage de Lee Isaac Chung ne force rien et laisse son histoire simple trouver une profondeur naturelle. Chaque scène est faite de petits riens qui finissent par former un grand tout, imposant d’intelligence. Le cinéaste n’hésite d’ailleurs pas à alterner l’humour et le drame pour proposer un ton propre à son œuvre.

Il existe dans “Minari” une grande volupté, quelque chose de diablement élégant et rempli de pureté qui fait l’identité du film. On garde en tête après coup toutes ces séquences où le réalisateur et scénariste propose des plans très zens et reposants, des images de la campagne américaines accompagnées d’une musique cristalline: “Minari” n’est pas agressif, il vous veut du bien.

Lee Isaac Chung va d’ailleurs imposer une idée forte dans sa construction visuelle: une science du cadrage totalement démente qui est un vrai moteur de l’histoire. Impossible de dissocier le fond de la forme dans son œuvre, on reste ébahi devant le perfectionnisme du cinéaste qui se ressent pourtant de manière très naturelle. L’image ensorcelle, transporte, nous fait devenir membre de cette famille unique.

Déraciné

Une famille aux antipodes de la lignée fantasmée qu’impose souvent le cinéma. On navigue ici entre rires et pleurs et on affronte les épreuves de la vie tête la première avec parfois une certaine dureté émotionnelle. “Minari” propose de vivre l’immigration sous un autre jour, plus réaliste et complexe. Le long métrage réussit son principal pari: nous faire sentir le tiraillement qu’il existe chez ceux qui sont entre deux pays, loin de leur terre d’origine et pas encore totalement acceptés dans leur nouvelle contrée.

« Câlins tout doux »

Plane sur le film deux performances d’acteur qui ajoutent au brio et à la cohérence de l’ensemble. D’une part, Steven Yeun qui incarne le père de famille: que de chemin parcouru pour un comédien qui s’est fait connaître dans “Walking Dead” et qui impose ici un jeu tout en nuance. D’autre part, la grand-mère campée par Youn Yuh-Jung. Véritable support émotionnel, c’est très souvent à travers son personnage qu’on passe du rire aux larmes avec simplicité et calme.

L’idée motrice derrière ce casting séduisant est plutôt simple mais proposée avec intelligence: il existe autant d’Amériques que d’américains. Il n’y a pas de modèle établi chez nos voisins outre-Atlantique, leur population est faite de milliers de personnes déracinées qui tentent de rebondir. L’œuvre va d’ailleurs intensément théoriser autour de la désillusion de ceux qui s’exilent à travers quelques symboles simples et efficaces.

Épreuves

Le périple de cette famille si différente est semé d’embûches, de défis à relever qui ne sont pourtant pas toujours récompensés. Pour beaucoup, nos héros restent des étrangers même lorsqu’ils font tout pour s’intégrer. “Minari” va par exemple utiliser l’Église pour démontrer cet entre-deux: nos protagonistes principaux sont accueillis, certes, mais leurs différences sont pointées du doigt avec maladresse. Ils restent en marge de la société américaine.

Dans le même esprit, Lee Isaac Chung va s’attarder sur le fameux “esprit d’entreprise” à l’américaine. L’obsession du père pour le travail de la terre devient complètement disproportionnée et il y a, à travers ses efforts démesurés et sans cesse contrariés, une vraie thèse à contre-courant de ce que le septième art propose d’ordinaire. Essayer de toutes ses forces ne suffit pas, certains paramètres du succès relèvent du hasard et donner tout son être pour une cause est parfois vain.

Pour autant, “Minari” n’a jamais rien de défaitiste, son esprit est plus profond et ample. Il nous invite à travers sa démonstration simple à épouser une philosophie claire: se laisser porter par le flot de la vie et ses aléas, faire de son mieux, et se nourrir des différences des autres pour progresser. Une morale que Les Réfracteurs approuvent.

Entre performances d’acteur séduisantes, calme et volupté dans l’image et pertinence dans le fond, “Minari” séduit et transporte. Il fait de nous le membre d’une famille unique pendant 2h marquantes.

Nicolas Marquis

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