2018
de: Jonah Hill
avec: Sunny Suljic, Katherine Waterston, Lucas Hedges
Le hasard fait parfois bien les choses : il y a peu nous nous étions penchés sur l’adaptation cinématographique de Sonic (si toutefois il est permis de le formuler ainsi). Vous y aviez sûrement décelé une aigreur bien naturelle pour un fan de la première heure de SEGA, né quelques années à peine avant le bolide bleu. Mais qui dit bambin des 80’s sous-entend également enfant des années 90’s. Peut-être est-ce par pur désir de trouver un peu de consolation après le navet proposé par le hérisson, ou bien simplement par nostalgie assumée, toujours est il qu’au moment de consulter les titres des différentes oeuvres destinées à être critiquées sur votre site préféré, “Mid90s” a ravivé la flamme enfantine dans le regard de votre serviteur du jour, simplement grâce à son titre. Réfractons ensemble cette belle surprise.
Dans cette unique réalisation (pour l’instant) de l’acteur Jonah Hill sur grand écran, bien loin ici de ses pitreries habituelles, nous suivons le parcours de Stevie, un jeune adolescent des 90’s. Le film est un pur “coming of age movie”, mais au ton dramatique. Mal à l’aise dans sa famille, tiraillé entre une mère légèrement égocentrique et un frère tyrannique, Stevie va trouver réconfort dans la rue auprès d’une bande de skateurs qu’il va ériger en modèle.
Dès l’entame, Jonah Hill va administrer un coup de poing au sens littéral du terme. Un affrontement entre les deux frères nous montre toute la tension qui règne au sein de cette famille morcelée. L’occasion également pour le réalisateur d’affirmer, un peu trop lourdement, le placement chronologique du film. En une seule minute, il nous abreuve d’images éparpillées révélatrices : une Playstation, un drap décoré des “Tortues Ninjas”, un T-shirt “Street Fighter,” et autres clins d’oeil trop appuyés du genre. On aurait aimé que le cinéaste s’en tienne à deux procédés plus subtils qu’il emploit pour restituer l’esprit des années 90 : le format choisi (le 4/3) et le grain de l’image qui semblent être des marqueurs historiques plus subtils. Heureusement, Jonah Hill évacue tout ces petits placements trop voyants rapidement et il n’en reste finalement qu’un effet pantoufle : pas forcément de bon goût, mais agréable à enfiler.
Cette mise en place est aussi l’occasion de délimiter les contours d’un protagoniste principal en perdition. Malgré les rapports houleux qu’entretiennent les deux frères, Stevie est en recherche d’un modèle masculin. Suite à la bagarre, il erre dans la chambre de son frère, enfile une casquette pour l’imiter alors que le générique défile sobrement. Une attitude que l’on pourrait presque confondre avec de l’affection si notre jeune héros ne s’infligeait pas immédiatement des violences physiques, comme pour se punir. Ces gestes funestes d’auto-mutilations, Jonah Hill les disperse tout au long de son histoire, à chaques bêtises que commet Stevie, mais sans jamais en faire trop. Le procédé est présent, mais toujours dans la retenue, en laissant la place aux spectateurs pour l’interpréter comme ils l’entendent.
« Et les gestes barrières? »
Cette famille de sang qui ne semble réussir à partager des rapports humains que devant un écran de télévision, nous allons rapidement la quitter lorsque Stevie commence à fréquenter la fameuse bande de skateurs. D’abord effacé et timide, il va progressivement se faire sa place au sein de ce groupe d’apparence bon-enfant. Avec eux, il va vivre ses premières fois : première cigarette, première bière, premier Playboy. Ces petits larcins, nous les avons tous connus, et le film les restitue avec naturel, offrant quelques sourires complices aux spectateurs, d’autant plus que la bande d’adolescents semble authentique. Cette union faite de complicité et de charriages sympathiques trouve écho chez la plupart des grands garçons que nous sommes devenus. Un sentiment d’abord léger, d’autant plus que Jonah Hill l’accompagne de petites victoires, comme lorsque Stevie réussit son premier “ollie” en skateboard. Et malheureusement pour certains, si le mot “ollie” ne vous est pas familier, c’est peut être que le film s’adresse avant tout à un public bien particulier : ceux qui, comme Stevie, ont étés enfants dans les années 90. Quitte à exclure une partie des spectateurs, le réalisateur trouve pour ceux qui se sentent concernés par son histoire un cadre agréable. Le skateboard comme moyen de fédérer en faisant fi des différences, c’est bien vu. Mais lorsque qu’une figure mal maîtrisée aboutit sur une chute vertigineuse, au terme d’une scène joliment réalisée, on comprend déjà que Stevie est sur une pente savonneuse.
Cette deuxième famille, celle de la rue, celle qu’il a choisie quitte à braver l’autorité et les mises en garde mal formulées de son frère qui voit avant tout l’émancipation de son cadet comme une menace, est peuplée de jeunes en perdition, trimbalant tous un lourd bagage. Seul le plus âgé fait voix de sagesse aux oreilles de Stevie, mais souvent après coup, une fois que les bétises de plus en plus graves s’accumulent. Pourtant, Jonah Hill confronte cette bande à un sans-abri et à sa triste histoire assez rapidement, mais ces jeunes ne semblent pas saisir que c’est leur futur qu’ils observent. Celui qui leur est réservé s’ils continuent sur cette voie. Une scène subtile, et qui débouchera sur une poursuite d’apparence assez anodine avec la police. Là encore, Jonah Hill démontre qu’il sait tenir une caméra avec pertinence.
Puis le film s’emballe : les délits de Stevie sont de plus en plus graves, les amitiés qu’il a tissées sont de plus en plus fragiles lorsque pointe la jalousie. C’est le moment où copains et famille se confrontent avec perte et fracas. Mais il est déjà trop tard, et le long-métrage n’a plus qu’à dérouler le destin de ce jeune héros en mal de reconnaissance pour aboutir à sa conclusion, mais toujours avec retenue dans le ton, malgré quelques scènes très légèrement trop appuyées sentimentalement. Ce défaut on ne peut l’ignorer mais il pousse une thèse que l’on partage : cette bande d’amis partage un lien différent avec Stevie, même dans leurs travers, et il faut savoir combiner les deux modèles pour aboutir à un schéma cohérent.
La sagesse n’est ni dans la famille de Stevie, ni dans les rapports qu’il entretient avec ses amis, mais plutôt dans la prise de conscience : grandir sans repère, c’est grandir sans limite. “Mid90s” est un film pertinent, une vraie surprise venant de Jonah Hill, que l’on savoure volontiers.