Le vase de sable

(Suna no utsuwa)

1974

Réalisé par: Yoshitarô Nomura

Avec: Tetsurô TanbaGô KatôKensaku Morita

Le cinéma asiatique regorge de véritables trésors cachés pour les cinéphiles les plus fouineurs. Longtemps privées de sortie en Europe ou dans des circuits très confidentiels, c’est à la faveur de notre génération dématérialisée que nous pouvons découvrir à notre tour les œuvres qui ont marqué un continent à la créativité débordante. Considéré au Pays du Soleil levant comme un véritable classique, “Le vase de sable” a tout pour plaire aux occidentaux. Polar diablement bien ficelé, le long métrage de Yoshitaro Nomura suit le parcours de deux inspecteurs de police (Testsura Tanba et Kensaku Morita) qui tentent de débusquer l’assassin d’un vieillard que tout le monde semblait pourtant apprécier. En remontant la piste que leur laissent quelques malheureux indices, les deux enquêteurs vont être amenés à sillonner le Japon des années 70.

C’est à travers des scènes relativement courtes et sobres, où la retenue l’emporte sur l’esbroufe, que Nomura nous restitue cette affaire étrange. Le cinéaste prend le parti de s’en tenir aux faits et nous invite ainsi à nous identifier totalement aux deux personnages principaux. On tâtonne avec eux, on se trompe, on rectifie, on progresse à tout petits pas. Nomura a par ailleurs la bonne idée de ne pas grossir le trait de ses protagonistes: la relation entre les deux flics n’est pas exagérée mais naturelle, loin des clichés que nous propose souvent le cinéma, surtout lorsqu’on oppose l’expérience de l’un et la jeunesse de l’autre.

C’est grâce au parti pris de rester très factuel dans son approche que le cinéaste réussit à inviter quelques instants de poésie dans son film. Des moments dont la rareté font la valeur. On est plongé dans l’enquête, l’air pensif puis d’un coup, on est cueilli par une mise en scène plus onirique: une femme jette des morceaux de tissu depuis un train comme des pétales de fleurs qui s’envolent et notre cœur qui s’emballe. Pour appuyer ce geste artistique, Nomura propose une musique absolument somptueuse signée Yasushi Akutagawa, véritable ode à la vie aux accents angéliques, pleine de profondeur. Une bande sonore qui ne servira pas seulement d’accompagnement mais qui trouve aussi du sens dans la quête du coupable.

« Détente. »

Le cadre strict de l’histoire n’empêche pas Nomura d’apporter des idées très discrètes de mise en scène. Prenez par exemple la vague de chaleur qui saisit le Japon pendant tout le film: ça n’a l’air de rien, vous n’y faites peut-être même pas attention et pourtant ce simple artifice maintient une pression constante sur “Le vase de sable”. On étouffe, on est éprouvé.

Ce qui est essentiel à assimiler dans “Le vase de sable” c’est que la recherche de ces deux policiers est une quête de sens. Nous ne sommes pas en présence d’un vulgaire épisode des “Experts” où le coupable est à démasquer parmi un parterre de figurants. Le tueur? Pendant la majeure partie du récit aucun protagoniste ne colle à ce rôle, il reste caché et sans réelle importance. Le comment? Il est donné d’emblée: un coup de pierre sur la tête. Non, c’est ici le pourquoi qui prime. Pourquoi en venir à une telle extrémité? L’inconnue du film reste invariablement le mobile jusque dans les derniers instants.

Visuellement, le film prend l’apparence d’une balade amoureuse en perpétuel mouvement dans un Japon aux multiples visages. Des immeubles de Tokyo à la campagne retirée, le périple des deux inspecteurs est avant tout géographique. De quoi donner des faux airs de chasse au trésors au récit. Mais c’est surtout un véritable émerveillement pour une contrée si loin de nous qui nous habite: les cadres du réalisateur nous emportent à l’autre bout du globe.

Cette errance, elle se fait aussi dans l’Histoire du Japon. “Le vase de sable” fonctionne presque à reculons, comme si on remontait le temps. D’abord l’assassinat, puis le parcours de la victime, un passage par les troubles de l’après-guerre et ainsi de suite jusqu’aux bases de cette enquête hors du commun. On sent dans la démarche de Nomura l’envie de réconcilier une population avec ses racines, il convoque l’âme de ce territoire polymorphe qui s’est reconstruit après la Seconde Guerre mondiale.

C’est en gardant cette notion historique en tête que le dénouement du film prend tout son sens. Le réalisateur s’amuse autour du concept de “destin” d’une manière très habile. Il fait appel à la filiation, aux origines des protagonistes, à la honte parfois de son milieu social pour ériger “Le vase de sable” en véritable monument de profondeur avec brio sans pour autant perdre pied avec sa démarche initiale de sobriété.

Œuvre mythique au Japon, “Le vase de sable” a marqué toute une génération nippone, influencé de grands cinéastes et n’a rien perdu de sa superbe.

Nicolas Marquis

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