(Démanty noci)
1964
Réalisé par: Jan Nemec
Avec: Ladislav Jánsky, Antonín Kumbera, Ilse Bischofova
Le temps d’une critique, notre ami Antoine Cassé nous fait l’amitié de quelques lignes à titre exceptionnel autour des « diamants de la nuit » de Jan Němec.
Il est de ces événements qui traumatisent le monde entier, où la folie des hommes dépassent l’entendement. Au cours de l’histoire hominienne pourtant, le cœur des années 30 et 40 semblent constituer l’acmé de la sauvagerie de notre espèce. Au crépuscule de la destructrice Seconde Guerre Mondiale, les esprits encore endoloris par les atrocités subies tentent malgré eux de panser les plaies morales des peuples. Dans une Tchécoslovaquie marquée au fer rouge, Arnošt Lustig va faire partie d’eux. Le pragois, déporté de 1942 à 1945 dans divers camps de concentration, va jouer un rôle primordial dans la reconstruction culturelle de son pays par l’écriture de nombreux ouvrages comptant l’Histoire que l’on refuserait presque de croire. Parmi ces ouvrages, Démanty noci, qui sortira en 1958 va inspirer celui qui va devenir l’enfant terrible de la Nouvelle Vague Tchécoslovaque : Jan Němec.
Dans une Tchécoslovaquie meurtrie par la dureté et la censure du régime communiste, Jan ne le sait pas encore, mais il va participer à une révolution culturelle unique dans les années 60. Il est alors étudiant à la prestigieuse FAMU, l’Académie du film de Prague, où il côtoie Miloš Forman ou Jiří Menzel. Pour parachever son diplôme, Jan doit réaliser un court-métrage ; il adaptera Lustig et obtiendra son sésame avec succès. Aussi, lorsqu’il décide en 1964 de réaliser son premier long-métrage, il se tourne à nouveau vers l’auteur juif pour adapter son récit autobiographique sorti six années auparavant. Ainsi naquit Les diamants de la nuit, pierre angulaire du mouvement culturel qui ébranla le pays dans les années 60.
Comment représenter l’horreur humaine sur pellicule ? La question, vaste et insoluble, hante les cinéastes depuis toujours, et Němec n’y fait évidemment pas exception. C’est dans son approche cependant que le film interpelle ; mettant à nu ces schémas narratifs, Němec cherche ici non pas à conter l’Histoire, mais à nous la représenter. Dès sa scène d’ouverture, le réalisateur nous plonge au cœur du combat ; dans la fuite pour la survie de nos protagonistes, nous sommes projetés dans cette course à perdre haleine. Toute l’urgence se fait alors ressentir ; la boue du sol figent nos pieds, les arbres nous plongent dans un flou d’immensité, et nos poumons se vident à l’étouffée. En quelques plans, un climat d’urgence s’installe. Dans une approche esthétique janséniste qui n’est pas sans rappeler Bresson, Němec nous installe, dans un silence assourdissant, au milieu de cette lutte pour la survie.
« On ronge pas ses ongles, dégoutant! »
C’est cette menace constante qui habite les personnages et hante le film. Plus nos deux comparses progressent dans cette forêt, et plus la faim et la peur se font ressentir. En filmant les corps dans leur plus profonde intimité, le cinéaste capte la douleur et l’effroi qui les habite. Peu à peu, la folie s’empare d’eux, où les fantasmes se mêlent au cauchemar, et où la réalité devient indiscernables des pièges du psyché. En répondant ainsi au concept de l’image-cristal de Gilles Deleuze, Němec détruit les frontières et nous bascule dans une horreur très organique. Réduit à leur plus primaire bestialité, les deux fugitifs deviennent alors déconnectés de toute réalité, dans un dernier acte aux airs de chasse-à-courre teinté de ce que le nazisme nous offrait de plus abject. C’est en ce point peut-être que Les diamants de la nuit réussit son pari : « réalité virtuelle » avant l’heure, le film nous fait vivre l’horreur de ces protagonistes plutôt que de nous la conter. Le cinéaste en appelle à nos sensations les plus primaires pour exprimer toute la puissance de son message. Utilisant sur la toile vierge l’entièreté de sa palette artistique, Němec fait émerger à nos yeux toute la virtuosité de sa mise en scène. Comme une profession de foi cinématographique, Les diamants de la nuit bousculent les codes rigides d’un pays rongé alors par la censure et fait imploser nos concepts mentaux pour nous renverser par la puissance dévastatrice de son art. C’est bien là l’essence-même de la réussite du film : la vision de son metteur en scène fait basculer le métrage dans la dimension des œuvres universelles, ces œuvres qui, à travers le temps et l’espace, viennent chercher au plus profond de nous pour faire corps avec notre esprit. Devant Les diamants de la nuit, on ne voit pas un film sur l’horreur du conflit ; on vit la peur, l’errance, la folie de ces deux garçons sans nom ; si loin mais en même temps si proche, on tremble avec ces deux êtres dans l’urgence de la situation, vivant sans procuration l’horreur dans laquelle ils sont plongés. Car les diamants de la nuit n’est pas un film d’horreur, ni un film sur l’horreur ; il est l’horreur, dans sa forme la plus abrupte et la plus brutale, celle qui marque au fer rouge et terrorise nos consciences.
Retrouvez le livre de Antoine Cassé, « Réflexions cinématographique » à cette adresse: ici
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