(The Withe Tiger)
2021
Réalisé par: Ramin Bahrani
Avec: Adarsh Gourav, Rajkummar Rao, Priyanka Chopra
Chaque année, la prestigieuse cérémonie des Oscars est l’occasion de mettre en avant des films qui nous auraient échappé. En épluchant la liste des nominations, on découvre souvent des noms jusqu’alors méconnus qui bénéficient d’un nouvel éclairage. Cette année, c’est la présence du long métrage indien “Le tigre blanc” de Ramin Bahrani, disponible sur Netflix, qui nous a interpellé: on avait bien capté la sortie de l’œuvre mais on avait (peut-être bêtement) vite fait de la reléguer au second plan, sans vraie envie de nous y attarder. Il faut d’ailleurs reconnaître que malgré sa force médiatique, Netflix n’avait pas communiqué de façon spectaculaire autour du film. C’est donc dans un esprit de complétiste, en bon fanatiques des Oscars que nous sommes, qu’on s’attarde aujourd’hui sur “Le tigre blanc” et tout spécialement son scénario puisque c’est la catégorie dans laquelle figure la pellicule. Un choix pour le moins étonnant de la part de l’Académie puisque c’est entre autres autour de l’écriture du film que de nombreux soucis vont se cristalliser.
Mais avant tout, plantons le décor: “Le tigre blanc” est une critique relativement acerbe des inégalités qui frappent l’Inde, vécue à travers le destin de l’infortuné Balram (Adarsh Gourav), le chauffeur et dans une certaine mesure serviteur de son maître auquel il est totalement soumis. Alors que les problèmes les plus graves s’amoncellent autour de son patron et de lui-même, Balram oscille entre l’envie de rester fidèle à son employeur, le ras-le-bol des vexations, et le souhait de s’émanciper pour lui aussi tenter sa chance de faire fortune. Un but qu’il finira par atteindre: le film n’entretient pas ce mystère et l’annonce d’entrée dans ce qui est construit par la suite comme un gigantesque flashback, seule la manière dont Balram a réussi son ascension sociale reste un mystère pour le spectateur.
Il existe des films qui dès leur ouverture nous font lever un sourcil et nous laissent dubitatifs, un problème qui va frapper immédiatement “Le tigre blanc”. En une poignée de secondes, tous les clichés imaginables sur l’Inde vont y passer, que ce soit en termes visuels ou auditifs. On est par exemple tout de suite agressé par la célèbre chanson de Panjabi MC qui représente assez bien l’idée que les occidentaux se font de l’Inde dans ce qu’elle a de plus fantasmée. On pourrait croire que c’est un processus d’immersion initial volontaire mais c’est durant toute l’œuvre que cette caricature du folklore indien va agacer.
Un processus par ailleurs totalement inutile: les couleurs naturellement dépaysantes et l’architecture de Delhi suffisaient amplement à emporter le spectateur vers d’autres latitudes. Ramin Bahrani en fait des caisses de manière hystérique alors que la solution était là, naturellement sous ses yeux. De quoi donner par ailleurs au spectateur l’impression qu’on le prend parfois pour un idiot alors que son plaisir de globe-trotter cinéphile réside bien plus dans les éléments plus subtils que dans les gesticulations incontrôlées du cinéaste.
« Lessive de chaussettes sales. »
Ce décor sert de support à une réflexion plutôt séduisante autour de la société indienne et de ses inégalités. “Le tigre blanc” ne fait pas dans la dentelle et propose une vision désabusée d’un pays frappé par la corruption et l’extrême précarité. En mettant en parallèle Balram et son maître, on oppose opulence et pauvreté en soulignant qu’il n’existe pas vraiment de juste milieu dans un pays encore régi par le système de castes. Un message classique mais toujours intéressant, d’autant plus que Ramin Bahrani ne va pas tomber dans une morale surfaite, bien au contraire. C’est aussi l’occasion pour le réalisateur de proposer des petites pistes de réflexion intéressantes. Prenez la place de la religion en Inde par exemple: Ramin Bahrani va mettre en accusation la piété de ses personnages qui se replient vers le mysticisme par simple opportunisme.
Mais au moment de construire cette critique de son pays, Ramin Bahranii va faire des erreurs d’écriture sévères. En vérité, le cinéaste trace plusieurs axes dans son scénario mais qui ne se répondent que très mal entre eux. Il y a le cheminement personnel de Balram, l’intrigue politique ou encore la satire sociale qui sont bien présents dans le film mais qui ne cohabitent pas vraiment, laissant la construction des personnages relativement caricaturale. Le réalisateur ne parvient pas à faire évoluer son récit sur plusieurs plans, il reste cloisonné dans chaque segment de son histoire. Certes, Ramin Bahrani tente de créer du liant mais généralement de manière surfaite, à l’image de la voix-off incessante et parfaitement inutile qui annihile toute subtilité.
Le montage et l’assemblage de scènes du film restent dynamiques dans sa première partie, laissant augurer d’un divertissement plutôt efficace, avant de totalement s’effondrer dans la seconde partie du long métrage. Alors que le tempo était séduisant, on sombre d’un coup dans les états d’âme sans fin d’un héros qui apparaît en conséquence relativement niais alors qu’on louait son intelligence. “Le tigre blanc” tire terriblement en longueur et ennui son public.
Ce n’est pas le casting qui va venir rehausser notre opinion: on sait pertinemment que le cinéma indien propose généralement des récits au long court où les acteurs accentuent les expressions, mais même avec cette idée en tête, on ressent une impression de surjeu quasiment permanente dans l’œuvre. On ne saurait laisser ‘Le tigre blanc” s’abriter derrière ses origines pour tenter de faire accepter un manque criant de nuance dans la direction des acteurs.
On attendait pas grand chose du “tigre blanc” et le peu de curiosité qui était née en nous est bien vite sapée par un défaut de subtilité évident dans presque tous les aspects du film.