La nuit du jugement

(Judgement Night)

1993

réalisé par: Stephen Hopkins

avec: Emilio EstevezCuba Gooding Jr.Denis Leary

Le jeu du chat et de la souris au cinéma est une science bien plus complexe qu’il n’y paraît. Ce qui peut sembler être une grammaire simple, celle de la course poursuite, est en fait à double tranchant. On vous prend un exemple: “Vendredi 13”. On a une bande de jeunes délurés batifolant dans tous les coins d’un camp de vacances, punis pour leurs papillonnages par un tueur mystérieux. Et bien dans cette logique de fuite en avant, on délimite une catégorie sociale très claire, les adolescents volages, et on châtie leurs erreurs. C’est tout le paradoxe des Slashers qui critiquent les torts de notre société, mais qui dans le même temps sont principalement accueillis par un public assez représentatif de ce que le film entend dénoncer, par simple goût du sang. Bien, c’est un peu pareil pour le thriller comme on va le voir avec “La nuit du jugement” qui va rapidement tourner au ridicule justement en tentant d’élever son propos.

Alors l’histoire, elle n’est pas très complexe: 4 amis des banlieues riches se rendent à un match de boxe, mais en chemin, ils se perdent dans les quartiers pauvres et vont tomber nez à nez avec un gangster local qui va les traquer toute la nuit. Pas compliqué, facile à digérer mais bourré d’erreurs qui tutoient le mauvais goût.

Au plus léger, on va balayer quelques personnage ridicules. Fallon, le méchant, est le truand le moins discret du monde, n’hésitant pas à tirer sur tout ce qui bouge en pleine rue. Alors que sa carrière de voyou invite plutôt à la discrétion, l’antagoniste semble désireux de rejoindre une cellule rapidement. Passons.

Admettons aussi Ray, le personnage le plus idiot qu’on ait vu depuis un moment sur notre petit site. Il s’agit d’un de nos 4 compères, vraisemblablement le plus fortuné, qui lui aussi va apparaître follement déconnant en cumulant les mauvais choix toute la nuit. Fallon fait du porte à porte pour trouver où se terrent nos héros? Ray va vouloir rester. Une occasion de prendre de la distance avec le prédateur? Ray va patienter pour tenter une négociation débile (alors que ça pétarade à tout va depuis une heure). Ha mon pauvre Raymond, on se demande comment tu as pu atteindre la trentaine sans accident mortel tant tu sembles vouloir en finir avec la vie.

« Pour les vacances c’est foutu… »

Mais le mal qui se cache dans “La nuit du jugement” est plus profond. En délimitant une catégorie assez claire de la population, les jeunes plutôt riches, le film va y opposer les quartiers pauvres mais en les stigmatisant à l’extrême. On adhère à cet espèce de sentiment de ville qui dévore nos héros mais pourquoi faire intervenir la population sous des traits aussi caricaturaux? Soit lâches, soit idiots, personne ne va aider les fuyards. Si on prend un peu de recul, c’est un énorme problème: critiquer des dérives n’excuse pas le goût douteux de la représentation des quartiers populaires.

Le film nous vend même cet espèce de fantasme encore actuel des zones de non-droit. Englué dans la banlieue, le quatuor va rapidement déduire que la police ne se déplacera pas jusqu’à eux par crainte du voisinage. Foutaise! On en a marre de cette vision étriquée du monde, servie par des gens qui n’ont jamais quitté les beaux quartiers. Ce sentiment qu’on éprouve pour les responsables du film est exactement celui que le long-métrage veut nous faire ressentir pour les héros maudits, mais impossible d’y parvenir en étant d’une part aussi bienveillant avec eux (ils restent les héros) et d’autre part aussi médisant envers la population moins bien lotie financièrement.

Alors sur quoi se rabattre? La musique d’Alan Silvestri peut-être, qui bien que peu originale sauve le peu de tension de scènes en général mal réalisées. Sans les accords du maestro, l’œuvre (admettons…) aurait été vidée de tout ce qui fait le suspens de l’intrigue, c’est dire à quel point “La nuit du jugement” n’offre rien.

En se contentant du service minimum, “La nuit du jugement” tombe dans la caricature qu’il entendait dénoncer. L’arroseur arrosé sauf qu’au passage, on éclabousse de mépris une population déjà stigmatisée dans le monde réel.

Nicolas Marquis

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