(Ba Bai)
2020
Réalisé par: Guan Hu
Avec: Wang Qian-Yuan, Zhang Yi, Jiang Wu
La guerre sur tous les fronts: si nous, occidentaux, avons l’habitude de vivre au cinéma les émotions liées aux affrontement de la Seconde Guerre mondiale lorsqu’ils sont concentrés en Europe ou dans le Pacifique, il faut bien reconnaître que l’Histoire houleuse de la Chine à l’aube du conflit international reste encore peu connue sous nos latitudes. Pourtant, la situation du pays asiatique à cette période se révèle diablement intéressante: d’un côté les affrontements entre les armées chinoise et japonaise se font intenses, d’un autre les puissances européennes investissent le pays. Au cœur de Shanghai se trouve des “concessions”, sortes d’enclaves abritant les occidentaux, comme une parenthèse au milieu des combats. Cet état des lieux permet d’explorer avec aisance toute les subtilités de la situation internationale qui dégénère alors. “La brigade des 800” va s’appuyer justement sur cet état des lieux pour dérouler un long métrage, certes versant dans le registre de l’action par moment, mais avec de la consistance dans le fond.
Véritable carton phénoménale au box-office chinois, “La brigade des 800” s’inspire d’une histoire vraie, celle de 800 soldats chinois retranchés dans un dépôt aux portes de Shangaï et qui vont braver les difficultés pour résister à l’envahisseur japonais malgré leur large infériorité numérique. Sur plusieurs jours, on va suivre leur quotidien fait de précarité et de mort prête à frapper à n’importe quel moment. Une histoire devenue emblématique de l’esprit de résistance chinois jusqu’à devenir une véritable fierté nationale.
C’est donc au milieu de fusillades et d’explosions incessantes que le cinéaste Guan Hu va pouvoir exposer un récit sur la bravoure et l’abnégation de ces héros nationaux. Le réalisateur fait de ses personnages de véritables martyrs, morts sur l’autel de la résistance. Un processus intéressant mais qui va rapidement montrer ses limites dans la construction des personnages: “La brigade des 800” délimite par moment des protagonistes un peu clichés, allant du lâche absolu et exagéré au héros intrépide tout aussi peu cohérent.
Guan Hu fait également de nous des témoins privilégiés des conditions affreuses dans lesquelles vivaient les soldats chinois. La fatigue, la saleté, le stress… Rien n’est épargné à ces héros de la liberté contraints de dormir, lorsqu’ils le peuvent, sur les cadavres de leurs frères tombés au combat. Le réalisateur a conscience que pour que son film marche, il doit remporter l’adhésion du public et cet axe invite fatalement à la sympathie pour ces hommes brisés.
Mais on ne qualifiera pas pour autant “La brigade des 800” de film réaliste: Guan Hu va clairement imposer des scènes musclées sur un rythme effréné. Le long métrage n’est pas une chronique exacte de la guerre, mais plutôt un film d’action ponctué par des scénettes plus dramatiques. Ces affrontements armés, Guan Hu va les filmer avec un panache extrêmement séduisant. Plutôt que de s’appuyer uniquement sur un montage dynamique, le cinéaste va régulièrement proposer des plans-séquence, caméra à l’épaule, qui immerge totalement le spectateur dans le chaos des affrontements. Un processus qui fonctionne à merveille: Hu Guan a un vrai talent de conteur, le problème réside plutôt dans le script.
« Rentrée des classes »
On sait que le gouvernement chinois porte toujours un œil très attentif sur les productions cinématographiques de son pays, quitte à faire pression pour glorifier son passé. On sent que Guan Hu réécrit un peu l’Histoire: loin de nous l’idée de défendre les troupes fascistes japonaises, mais le manque de personnification de ces antagonistes laisse perplexe. Dans la même veine, même si certains personnages iront parfois à contre-courant, les 800 sont généralement pétris de bravoure et de camaraderie, n’hésitant pas une seconde au moment du sacrifice. Puis il y a les difficultés politiques de l’époque qui pèsent sur les civils et qui semblent totalement ignorées, alors que les concessions, étrangement et rapidement acquises à la cause chinoise, observent les heurts. En vérité, il vaut mieux considérer “La brigade des 800” comme une demi-fiction, une œuvre qui restitue la légende, pas les faits avérés. On verse ici davantage dans la symbolique plutôt que dans l’exactitude.
Pour restituer parfaitement cet esprit d’unité, certes un peu fantasmé, voulu par Guan Hu, le réalisateur va faire le choix de ne presque jamais nommer ses personnages, faisant d’eux des quasi-anonymes. “La brigade des 800” ne possède d’ailleurs pas vraiment de rôle principal C’est plutôt malin, efficace, et ce n’est finalement qu’au moment de l’ultime sacrifice qu’un patronyme leur sera attribué. Symbiose entre les soldats donc mais le revers de la médaille c’est parfois l’impression de fouillis dans les trajectoires des différents personnages. Il est régulièrement difficile d’identifier chaque protagoniste, perturbant ainsi le cheminement personnel.
Le fond évoqué, il reste à aborder la forme: Guan Hu oppose le béton de l’entrepôt et les néons criards des concessions occidentales, juste de l’autre côté d’une rivière. Si le cinéaste est un peu tapageur dans sa mise en image, il possède pourtant un véritable style graphique qu’on se surprend à apprécier. Mais ce décor, Guan Hu va surtout l’utiliser comme un élément de narration d’une véritable intelligence. Soldats et civils s’observent perpétuellement, et cette impression de liberté à portée de main et pourtant inatteignable se révèle convaincante.
Il convient de vivre “La brigade des 800” pour ce qu’il est: pas un témoignage exact de la bataille mythique, mais plutôt un film de grand spectacle parfois hésitant mais souvent séduisant.