(Johnny Got His Gun)
1971
réalisé par: Dalton Trumbo
avec: Timothy Bottoms, Kathy Fields, Marsha Hunt
À découvrir dans le cadre du festival « Vision d’Histoire » au cinéma « Caroussel » de Verdun, le dimanche 18 octobre 2020 à 10h45.
Dans le petit monde du cinéma de guerre, il existe à l’évidence deux écoles distinctes. La première est la plus évidente: ces long-métrages qui souvent sous couvert d’action s’en tiennent scrupuleusement au cadre du conflit armé. Grandes réflexions et ouvertures existent mais on reste à un niveau très concret du récit. Ce sont les œuvres (parfois géniales) comme “1917” ou “Le soldat Ryan”. Puis il y a les films plus ouverts, ceux qui dépassent le simple sous genre du cinéma militaire pour au contraire tenter d’aller chercher des pensées plus profondes sur la vie et le destin alors que les sentiments sont exacerbés par le contexte de l’histoire. “Johnny s’en va-t’en guerre” est de ceux qui vont chercher à se surpasser pour marquer à jamais le spectateur.
Durant la Première Guerre mondiale, Johnny (Timothy Bottoms), un jeune soldat américain est grièvement blessé dans les tranchées. Transporté à l’hôpital, il va se retrouver amputé de tous ses membres, paralysé, le visage tellement détruit par les explosions que la parole, la vue, l’ouïe, le goût et l’odorat sont à jamais perdus et notre héros se retrouve incapable de communiquer. Convaincu qu’il ne perçoit rien de ce qui l’entoure et qu’il n’est plus qu’un légume, les médecins laissent Johnny moisir dans un cagibi alors que ce dernier se réfugie dans ses souvenirs et ses hallucinations pour tenter de trouver du sens à cette situation.
À la réalisation, on retrouve un nom connu en celui de Dalton Trumbo. Un homme qui a longtemps milité pour la paix même dans des contextes compliqués: ainsi, la nouvelle qui est à l’origine du film et qu’il signe également est passée par son lot de censures à l’orée de la Seconde Guerre mondiale, son propos étant jugé trop pacifiste. Dalton Trumbo a aussi fait partie des listes noires des soi-disant sympathisants communistes pendant la chasse aux sorcières et aura dû attendre des décennies pour porter son livre à l’écran: voilà qui en dit long sur l’auteur mais aussi sur la force profondément anti-guerre qui habite “Johnny s’en va-t’en guerre”.
« Non, ce n’est pas un masque anti covid. »
Pacifiste à l’évidence mais aussi bien plus que cela: le long-métrage impose une autre réflexion en plus de celle sur la guerre: une interrogation autour de la valeur de la vie. Seul dans son lit d’hôpital, l’existence est une torture quotidienne pour Johnny qui voudrait hurler son envie de mourir au monde. Dalton Trumbo va essayer de poser une limite claire au-delà de laquelle maintenir quelqu’un en vie devient indécent. Alors que la plupart des démocraties n’ont pas encore tranché sur le droit à l’euthanasie, on peut admirer le côté précurseur d’un livre sorti dans les années 30. Mais la vie n’est pas mise en perspective qu’à travers la souffrance, la quête du but de l’existence est aussi amenée. En s’engageant comme soldat, Johnny pense changer la donne alors qu’il n’est qu’une goutte de plus dans l’océan et que l’amour l’attend à la maison.
Parler de ces sujets aux USA, un pays ouvertement catholique où on jure sur la bible, est une vraie prise de risque. Trumbo va même se permettre de moquer Dieu. Sous les traits de Donald Sutherland apparaît régulièrement Jésus dans le récit. Le plus souvent impuissant, voire un peu idiot quand à son simple travail de faucheuse, il n’apporte aucune réponse aux suppliques de Johnny. Point de divin ici, juste de l’injustice.
Autre figure forte, celle du père de Johnny interprété par un Jason Robards étincelant. Pas plus de réponse que ce bon vieux JC, le paternel de notre héros est aussi là pour sa valeur sentimentale. On comprend que Johnny en a fait un modèle de conduite et chaque leçon de vie que nous déclame Robards est assimilée avec plaisir par le spectateur en même temps que par le héros.
C’est en vérité tous les mythes américains que le film va venir déconstruire. Oubliez le patriotisme, les soldats sont ici des pantins esclaves de cruels marionnettistes. Oubliez aussi le Saint-Dollar: le cinéaste n’a pas oublié de souligner les difficultés pour les familles que la guerre éclate. Et oubliez bien sûr les valeurs de l’armée qui ferme à double tour la porte de la chambre de Johnny pour ignorer sa douleur. Ces derniers pourraient presque même être assimilés comme des antagonistes.
C’est toute une jeunesse fauchée par les drames de l’Histoire que restitue “Johnny s’en va-t’en guerre”. Assez rapidement, le film va l’établir à travers une rêverie de notre héros où les soldats affrontent Jésus au blackjack et perdent systématiquement. Pour eux, le jeu est truqué et c’est grâce à une promo sans faille qu’on peut les enrôler. Derrière les posters rutilants et les promesses creuses, c’est toute une génération d’hommes qu’on a envoyé au casse-pipe sans notion des drames qui pouvaient se nouer à l’échelle humaine.
“Johnny s’en va-t’en guerre” est une formidable œuvre pacifiste qui traite son sujet avec non seulement de savoureux symboles mais aussi une exhaustivité incroyable. L’un des immanquables de cette version 2020 du festival “Vision d’Histoire”.