Falling

2021

Réalisé par: Viggo Mortensen

Avec: Viggo MortensenLance HenriksenTerry Chen

Après s’être fait connaître auprès du grand public grâce à son rôle dans la saga “Le seigneur des anneaux”, le comédien Viggo Mortensen semble avoir emprunté une voie différente du cinéma hollywoodien au fil des années. La filmographie de l’acteur est faite de longs métrages intimes, précieux, pour lesquels le talent indéniable de Viggo Mortensen constitue une plus value indéniable. C’est avec ce parti pris artistique qu’une relation spéciale s’est noué entre cet homme magnétiquement attachant et ses adeptes dont on aurait tendance à se réclamer de notre côté. Avec sa première réalisation, “Falling”, dont il signe également le scénario et la musique, Viggo Mortensen continue dans cette démarche et nous propose le récit poignant qui unit un fils et son père devenu sénile, l’un étant un démocrate progressiste convaincu et le second un vieillard profondément aigri et typique de l’Amérique profonde et de ses démons. Avec son scénario, Mortensen va affirmer une œuvre à l’image de l’artiste: parfois imparfait, toujours sincère.

C’est avant toute chose le sentiment qui habite “Falling”, cet attachement profond pour le drame humain qui prend place devant nos yeux. Viggo Mortensen, par son jeu et sa mise en images, réussit à honorer la condition “sine qua non” pour que son œuvre fonctionne: l’honnêteté du cœur. Aussi différent soit-on des protagonistes du film, on finit d’une manière très naturelle et habile par les adopter et les comprendre. Viggo Mortensen n’exige pas du spectateur qu’il pardonne ses personnages mais il invite progressivement à entrer dans la bulle de cette famille en crise.

Un véritable défi quand on voit le caractère franchement antipathique de l’ancêtre que campe joliment Lance Henriksen. Complètement fermé aux différences des autres qu’il ne comprend d’ailleurs tout simplement pas, on aurait tôt fait de prendre en grippe cet homme irascible. Pourtant, jamais Mortensen ne va sombrer dans le manichéisme, bien au contraire: par petites touches subtiles, il va humaniser le vieillard. On ne qualifiera pas ce personnage d’attachant, mais il porte en lui une forme de douleur qui nous touche. On convoque par ailleurs toute une Amérique profonde avec un tel homme et on peut ainsi l’opposer à la nouvelle génération sans devenir donneur de leçons mais plutôt avec une retenue et une pudeur séduisante.

« Parle à ma main. »

C’est d’ailleurs cette dualité qui va constituer l’un des axes principaux du récit, même si Mortensen ne fait pas toujours dans la subtilité. Le personnage qui est le sien par exemple est installé d’une manière brute, autocollant de Barack Obama sur son frigo pour qu’on comprenne ses inclinaisons politiques. Pourtant, la recette qu’élabore le cinéaste est plus recherchée qu’il n’y parait: l’homosexualité du fils peut paraitre clichée sur le coup puis quelques scènes plus tard Mortensen l’utilise plus finement pour confronter deux visions contraire de la paternité. Autre exemple de cette méthodologie: le rapport aux armes à feu, là aussi typique de l’Amérique profonde. Fervent chasseur, le père de famille range ses fusils en hauteur pour que son fils ne puisse pas les atteindre. On hausse un sourcil, on se dit que faire figurer les armes en arrière-plan n’est pas d’une subtilité éclatante, puis quelques scènes plus tard, alors que l’enfant monte sur un tabouret pour cuisiner avec sa mère , on prend conscience du danger qui pointe. On se croit en fait malin avec notre œil critique mais Mortensen nous prend à revers avec un certain brio.

Ces flashbacks forment l’artifice principal de réalisation sur lequel Viggo Mortensen va s’appuyer. Leur rythme interpelle: il ne semble pas tout à fait maîtrisé “Falling” reste un premier film) mais semble toutefois vouloir dicter un tempo planant, propice à l’immersion dans une Amérique divisée. Rien n’est vain dans “Falling”, derrière chaque démarche de mise en scène se cache une idée de construction jamais totalement innocente. Le long métrage est intelligent dans ce qu’il cherche à démontrer et se permet même de trouver une certaine identité visuelle dans ces instantanés du passé, témoignage d’USA de la terre et du travail des champs.

L’autre grande thématique du film reste la façon d’aborder la sénilité pour les enfants de ceux qui approchent de leur fin de vie. Mortensen devient le père et Henriksen le fils dans un échange de responsabilité un brin glaçant. Leur relation se métamorphose en défi dans lequel les rapports de force semblent dissonants alors que le patriarche lutte pour son indépendance. Un axe un peu trop mélo pour complément fonctionner mais assez prenant pour nous confronter à notre réalité, notamment parce que le personnage de Viggo Mortensen n’est pas parfait: ses fêlures sont ses défauts et le rapproche de notre quotidien.

Soulignons enfin la performance séduisante d’un casting à l’unisson. Mortensen n’a pas signé de grands noms pour son film intimiste mais semble avoir cherché une cohérence d’ensemble bien plus appropriée. Cette famille apparaît palpable, vraisemblable dans les caractères qui la composent. Cette multiplicité des mentalités et en même temps tout ce qui unit ces êtres au bord du précipice sautent au yeux et en font un panel aussi complet que réaliste. Peut-être est-ce de cette “chute” vers la fin des grandes figures familiales que “Falling » tire son titre.

Imparfait, “Falling” l’est indéniablement. Toutefois, sa sincérité et sa justesse pas toujours maîtrisée mais régulièrement pertinente en font un moment intime et précieux.

Nicolas Marquis

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