(Estate violenta)
1959
réalisé par: Valerio Zurlini
avec: Eleonora Rossi Drago, Jean-Louis Trintignant, Lilla Brignone
On ne défie pas un Réfracteur impunément. Oh que non les amis. Lorsqu’il s’agit de cinéma, vos serviteurs sont toujours prêts à se faire un bon petit marathon bien massif pour assouvir leur soif de bonnes pellicules. Pendant tout ce mois d’août, nos collègues de Cinemaccro publie un thread Twitter foutrement intéressant que vous pouvez retrouver sur leur page. Sa mission? Profiter des vacances pour proposer une sélection de long-métrages qui fait la part belle au soleil et parfois à la plage pour voyager un peu grâce au cinéma. On vous avait déjà parlé de “La baie des anges”, on passe aujourd’hui à “Été violent”.
Bon soleil et plage certes, mais pas non plus une envie irrépressible de rejoindre cette Italie à un carrefour de l’Histoire alors que la Seconde Guerre mondiale gronde partout en Europe. Dans ce contexte horrifiant, deux personnes vont se rencontrer et s’aimer malgré des circonstances mortifères. L’un est un planqué qui évite depuis plusieurs mois l’enrôlement forcé dans l’armée, Carlo (Jean-Louis Trintignant). L’autre est une veuve de guerre qui vit recluse dans sa vaste demeure, Roberta (Eleonora Rossi Drago).
« Été violent” est conscient dans ce qui fait la force du cinéma italien de l’époque et va s’appuyer sur plusieurs dogmes solidement établis par ses illustres prédécesseurs pour dérouler une pellicule forte à la fois dans sa mise en scène et dans son propos. On retrouve donc de grandes scènes chorales alors que Carlo est entouré de ses nombreux amis: les dialogues fusent, les mouvements des acteurs sont nombreux et leurs attitudes s’appuient sur une palette de sentiments complètes. On éprouve ce sentiment de tournis propre aux films de Fellini dont Valerio Zurlini, le réalisateur du long-métrage, semble s’inspirer.
Autre preuve de cet héritage: la mise en plan de l’image. Zurlini réfléchit son oeuvre à de multiples échelles. Au premier plan, un protagoniste troublé par cet amour interdit; au deuxième, l’autre moitié de ce couple qui tente quelques explications; au troisième, la bande de potes de Carlo qui vit une vie frivole et au quatrième, la mer: solides, efficaces et bien pensées, toutes ces séquences répondent parfaitement à d’autres scènes qui jouent davantage sur le hors-champ.
« Ligne 5 direction Porte d’Italie »
« Été violent”, c’est aussi la performance sublime de deux acteurs habités par leurs rôles. Eleonora Rossi Drago est très expressive, mais souvent en masquant son visage à son interlocuteur à qui elle tourne le dos. Dans ces instants, le spectateur est le seul témoin des émotions qui traversent le visage de l’actrice. Plus subtil, Jean-Louis Trintignant ne dépareille pourtant pas. Il intériorise énormément mais en quelques gestes, il affirme lui aussi tout le dilemme de cette romance tabou. Assez nettement, on considère pour notre part le comédien comme l’un des 5 plus grands acteurs français de tous les temps: pan! C’est dit!
Toute cette réflexion autour de la mise en scène apporte aussi un élément capital au film: le jeu de regard. Il y a ceux qui sont fuyants, ceux qui se croisent, ceux qui se dissimulent… C’est peut-être là la meilleure idée du film et Zurlini en est parfaitement conscient. Au détour d’une scène, Roberta va même demander nettement à Carlo de ne pas la regarder pour pouvoir dire ce qu’elle veut sans être troublée: c’est un aspect de l’oeuvre impossible à rater.
« Alors c’est bien les Réfracteurs, merci, mais de quoi parle-t-on avec cette grammaire cinématographique?” nous direz-vous. Une seconde les gars, on y vient. En imposant deux héros dont l’amour est tabou, le film tend à démontrer que la passion l’emporte sur la raison. Les existences de ces deux protagonistes sont cloisonnées et totalement différentes. À la façon dont le film utilise les amis de Carlo pour juger cette romance, on devine toutes les divisions sociales qui régnaient à cette époque trouble de l’Histoire.
D’ailleurs, c’est une des symboliques les plus fortes du film, cette façon dont “Été violent” tente de réconcilier deux Italie opposées mais qui vont tenter de se ressouder alors que la guerre gronde. Une espèce de reconstruction sociale symbolisée par l’amour des héros du film alors que la chute de Mussolini semble impossible à éviter. C’est d’ailleurs dans un crescendo intelligent que cette guerre va être symbolisée: d’abord un simple avion qui survole la plage, puis des coupures d’électricité, puis des alertes aux bombardements et ainsi de suite. Le spectre de la guerre (et de la défaite) est partout et ne cesse de grandir.
Pur produit de l’âge d’or du cinéma italien, “Été violent” s’appuie sur tout ce qui fait le sel des productions locales de l’époque pour avancer des idées simples mais poussées à leur paroxysme.