2018
de: Tim Sutton
avec: Jamie Bell, Frank Grillo, Margaret Qualley
Le rêve américain est mort. Cette façon de vivre qui faisait fantasmer il y a encore deux décennies s’est effondrée peu à peu depuis le début de notre siècle. Bien évidemment, certains cinéastes n’hésitaient pas à dénoncer les dérives du système des USA bien avant les années 2000. Mais ce qui semblait exception à cette époque est devenu un fait avéré depuis. Il y a peu, nous évoquions d’ailleurs le très pertinent “Queen & Slim” qui n’hésitait pas à dresser un portrait peu reluisant du pays de l’oncle Sam. Nouvelle démonstration aujourd’hui avec “Donnybrook”.
Poussé à bout par la pauvreté dans laquelle sa famille et lui vivent, Jarhead (Jamie Bell), un ancien militaire, va se mettre en route pour le Donnybrook: un tournoi de combats clandestins, à mains nues, où le gagnant empoche un alléchant pactole. Sur ses talons, le pervers Chainsaw Angus (Frank Grillo) et sa soeur Liz (Margaret Qualley), tous les deux trafiquants de drogue, qui vont tenter de rattraper Jarhead pour se venger d’une querelle qui les oppose.
Derrière ce résumé se cache une plongée en apnée totale dans l’Amérique d’aujourd’hui. Un road-movie où la destination fantasmée, le Donnybrook, est un temple de la violence. Dans un style cinématographique qui en général tente de conduire ses protagonistes vers un Eldorado, le long-métrage fait ici le choix d’enfoncer ses personnages de plus en plus loin dans l’horreur, jusqu’à ce terrible tournoi.
En filigrane derrière nos héros, une Amérique en pleine perdition, celle des laissés pour compte, dont le réalisateur Tim Sutton dresse un portrait désabusé. Chaque symbole typiquement américain s’effrite pour révéler l’horreur qui transparaît derrière: une police totalement incapable et impuissante par exemple, ou encore l’esprit d’entreprise capitaliste ici réduit au trafic de drogue. Le plus probant, c’est sans doute cette scène où les spectateurs du Donnybrook, avides de violence, écoutent paisiblement l’hymne américain, comme il est coutume de le faire outre-atlantique avant une banale rencontre sportive.
« Il a bobo! »
Mais cette dénonciation du modèle sociétal des USA est avant tout amenée par ses personnages: Jarhead est un ancien G.I. qui a servi pour son pays. Pourtant il vit dans une pauvreté absolue, contraint même de voler pour survivre. Le modèle familial proposé par le film est aussi édifiant, tout spécialement celui de Angus et Liz: un malaise permanent entre ce frère bourreau et sa soeur qu’il pervertit.
Frank Grillo est d’ailleurs efficace et surprenant en croquemitaine. Dans son ombre terrifiante, Margaret Qualley réussit elle à nuancer un personnage qui aurait pu sembler grotesque. Jamie Bell est lui davantage dans le sentiment, mais réussit à faire naître de la compassion dans le coeur du spectateur. Un trio efficace, qui apporte un supplément d’âme au film.
On regrettera tout de même quelques écueils scénaristiques. On pense principalement au caractère “Pulp” de l’oeuvre, qui amène forcément certains clichés et des moments légèrement tirés par les cheveux. Pas de quoi prendre le film en grippe, mais un procédé qui prive le long-métrage d’une ampleur qui lui aurait permis d’aller plus loin dans son message. Une certaine forme d’absence de subtilité entache également cette histoire, légèrement trop directe.
Mais on imagine que c’est aussi une volonté de Tim Sutton: restituer un côté très brut de l’Amérique. Sa réalisation semble appuyer sur ce point: entre prises de vue stylisées et séquences caméra à l’épaule, bien plus directes, le réalisateur accentue un sentiment d’authenticité. Ses décors, l’utilisation de couleurs ternes, mais surtout son approche très crue de la violence donnent à “Donnybrook” un aspect véritablement “coup de poing”.
D’autant plus que le film ne souffre pas de temps morts. Le découpage de l’œuvre, qui change régulièrement de point de vue entre Jarhead dans une fuite logique et Angus qui le poursuit, permet de maintenir un rythme efficace. Avec une économie de moyens, sans chichi, Tim Sutton impose ses deux personnages et les étoffe avec dynamisme jusqu’au point culminant du film.
“Donnybrook” est autant un road-movie qu’une métaphore, celle d’une société prête à tout broyer. Une course-poursuite noire et violente sur l’autoroute de l’enfer. Pour paraphraser un homme cher au cœur des Réfracteurs: “le cauchemar américain”.