2019
réalisé par: Roger Mitchell
avec: Susan Sarandon, Sam Neill, Kate Winslet
Derrière les images qui s’enchaînent à l’écran, il y a parfois la notion de lutte sociétale. C’est ce qu’on appelle les “films plaidoyer”, ces oeuvres qui s’approprient les questions de leur époque pour en livrer une réponse très personnelle. Avec “Blackbird”, on tombe clairement dans cette catégorie de longs-métrages qui comportent une part de combat pour théoriser ici autour de la fin de vie et du droit à l’euthanasie, défendant cette pratique encore souvent taboue. Cette oeuvre, elle nous force à prendre position, à nous engager, c’est dans son ADN. Soyons donc clair: si on souscrit au message militant de fond du film, on ne peut toutefois pas passer outre certains problèmes majeurs de “Blackbird”, qui le rendent imparfait malgré toutes ses bonnes intentions.
Alors que la maladie se fait de plus en plus pesante sur elle, Lily (Susan Sarandon) va réunir autour d’elle sa famille pour un ultime week-end avant de mettre fin à ses jours dans la dignité. Un séjour mêlé de joie et de tristesse au cours duquel les proches de cette mère de famille vont passer par tout un panel d’émotions, entre derniers adieux et secrets jusqu’alors inavoués.
En premier lieu, mettons en avant le rythme du film et les rebondissements de son scénario qui sont à l’image de l’oeuvre dans son ensemble: mitigé. Le scénariste Christian Torpe, déjà à l’origine du long-métrage danois “Stille hjerte” dont est tiré “Blackbird”, réussit dans la construction de son histoire à imposer des couperets glaçants qui donnent de l’ampleur à son histoire. Alors que l’ambiance dans la maison se fait détendue, des virgules dramatiques viennent contrarier cet état d’esprit. C’est par exemple le colis renfermant le cocktail de médicament qui permettra à Lily d’accomplir son suicide qui surgit de manière inattendu alors que sa fille fouille les placards, ou des paroles d’apparence anodine qui d’un coup prennent un double sens malvenu. “Blackbird” réussit dans ces instants à nous prendre à revers et à nous faire vaciller.
Malheureusement, ce point fort du film va de paire avec un défaut majeur qui va entacher l’oeuvre: certains de ces artifices sont eux franchement mals amenés. Il existe dans le long-métrage un côté larmoyant difficilement construit et indigeste qui gène l’appréciation du film. “Blackbird” force son message en s’appuyant sur des sentiments trop condensés et qui éclatent avec une certaine lourdeur. On ne peut pas, et on ne veut pas, trahir le film en dévoilant son intrigue mais certains coups d’éclat des convives semblent malvenus, factices et un peu pathétiques.
« Cheeeeeeese! »
Un constat qui s’additionne avec un autre écueil: quelques situations sont franchement idiotes, voire gênantes. On pense à Jennifer (Kate Winslet), la fille de Lily qui lui offre une salière en arrivant dans la demeure. On comprend que ce personnage ne sait pas comment appréhender le choix de sa mère mais quand même, on dépasse le stade de la bêtise la plus intense avec ce présent. On s’est aussi pris la tête à deux mains lorsque le petit-fils du personnage de Susan Sarandon entamme un rap sur l’euthanasie: une scène complètement lunaire qui nous a fait équarquiller les yeux d’effroi.
Mais on reconnaît toutefois que tant que le film reste humble et ne tente pas d’étendre son propos vers des sphères qu’il ne maîtrise pas, “Blackbird” fonctionne. On adhère très rapidement au choix de Lily, on le comprend, on le partage. Ce personnage nous parle et on s’identifie facilement a cette femme confrontée a un dilemme insoluble et on éprouve une sympathie sincère pour elle. Dans les souvenirs de son passé ou dans ses quelques répliques amusantes, on réussit à l’aimer.
Reste toutefois le cadre “petit bourgeois” du film qui va se révéler à double tranchant. Alors oui, ce placement n’est pas anodin, il affirme que même dans les meilleures conditions, le choix de mettre fin à sa vie reste une option clairement envisageable, ça on l’a compris. Mais quand même, avec cette position dans l’échelle sociale, le long-métrage va devenir parfois très excluant. Les Réfracteurs sont des gens “normaux” qui ne cachent pas de comptes en Suisse et on s’est senti laissés sur la touche quant à certaines préoccupations de la haute société qui nous apparaissent futiles.
En terme de visuel, on a apprécié l’opposition entre les lignes strictes de la maison familiale et le cœur du film fatalement rempli de sentiments humains intenses. Le réalisateur Roger Michell utilise ce décor comme une toile sur laquelle il peut peindre son drame familial. Gros problème: c’est à peu près la seule chose que “Blackbird” tente au niveau de la mise en scène. Rapidement, le cinéaste va se réfugier dans la facilité à travers un enchaînement de scènes parfois incongru et laisser son scénario faire tout le travail. Un procédé qui ne peut fonctionner que si celui-ci est parfait, hors…
“Blackbird” peut toutefois s’appuyer sur un casting solide et impliqué, rempli de noms qu’on apprécie et qui font leur travail avec application. Derrière Susan Sarandon, on retrouve Sam Neill, Kate Winslet, Rainn Wilson… De quoi porter le long-métrage, malgré tous ses défauts, vers une certaine intensité et lui permettre de délivrer son message.
La question de la fin de vie reste épineuse et divise toujours le public. On émet quelques grosses réserves sur la manière dont “Blackbird” étale sa thèse, mais on adhère malgré tout à sa proposition tant qu’on ferme les yeux sur certaines errances.