Bianca

1984

réalisé par: Nanni Moretti

avec: Nanni MorettiLaura MoranteRoberto Vezzosi

L’art ce n’est pas que s’épanouir dans des styles déjà pré-établis, c’est aussi souvent expérimenter. Comme vous, on adore un bon film d’action ou d’horreur, mais on ne peut réduire aucune discipline artistique à ce qui existe déjà. En peinture, il a bien fallu qu’un jour quelqu’un se décide à quitter la représentation pure de son modèle pour inventer l’art abstrait; en musique, il y a forcément eu des pionniers qui ont délaissé les instruments classiques pour porter la musique électronique. C’est la même chose en cinéma et on va le voir aujourd’hui avec “Bianca”, un film qui concorde parfaitement avec l’expression “Art et essai”.

« Bianca » c’est l’histoire de Michele, un professeur de maths (Nanni Moretti) qui emménage dans une nouvelle ville pour occuper un poste d’enseignant. Mais Michele est un personnage hors-normes, obsédé par les couples des autres à propos desquels il tient des dossiers complets, alors que lui-même est terriblement seul. Alors que son existence un brin absurde suit son cours, il va s’éprendre pour une autre professeure de son lycée: Bianca (Laura Morante).

Il faut comprendre qu’en se plongeant dans ce récit, on met les pieds vers une oeuvre complètement indéfinissable où le sens profond est parfois compliqué à saisir. Le spectateur doit admettre qu’il ne comprendra peut-être pas tout tant on confine à l’abstrait par la loufoquerie. Nanni Moretti, acteur et réalisateur du film, ne fait aucune concession: il tente, teste, se trompe même parfois mais ne renie jamais la forme bizarroïde de son film.

Avec ce procédé, “Bianca” s’aliène forcément une partie du public. On ne pose aucun jugement de valeur, une grande part des amateurs de cinéma aime saisir toutes les caractéristiques d’un film et ne se satisferont probablement pas d’une oeuvre aussi complexe à délimiter. Même nous, on ne peut pas vous dire qu’on a assimilé tout ce que Moretti veut démontrer, on ne peut que vous donner notre interprétation très libre de certaines scènes que vous pourriez totalement ressentir différemment. Allons-y donc pour notre vision personnelle du long-métrage.

Au plus évident, il y a la performance géniale de l’acteur. Moretti s’inscrit dans une tradition du cinéma italien alors qu’il est un véritable clown loufoque, un peu à la manière de Benigni. Il parcourt les scènes de l’oeuvre avec énormément de flegme mais sait également se faire touchant lorsqu’il le faut. On s’attache à cet être singulier qui nous emmène dans un périple entre rires et larmes.

« Atelier cuisine. »

En imposant son personnage en professeur de mathématiques, on a immédiatement devant nous l’image d’un homme pragmatique qui voit la vie d’une manière très manichéenne: Michele ne comprend pas comment le sentiment amoureux peut évoluer en nuance. Pour lui, la vie est noire ou blanche, sans demi-mesure. En tenant ses dossiers secrets sur les couples des autres, il tente de comprendre un sentiment qui ne saurait être dépourvu de finesse. C’est sans doute pour cela que Michele est terriblement seul.

Ce protagoniste est également un voyeur, régulièrement tapis dans l’ombre pour espionner. Lorsque dans la scène d’ouverture Moretti met le feu à sa salle de bain, on comprend qu’il ne laissera pas de traces. Mais ce qui apparaît clairement au sens propre vaut aussi au sens figuré: Michele ne laisse pas non plus de trace dans la vie des autres dont il se sent affreusement exclu.

Moretti se permet également un petit tacle au système scolaire italien. Michele est employé dans un établissement complètement absurde, qui existe plus pour le plaisir des adultes que pour aider ses élèves terriblement formatés. La salle des profs est d’un luxe extrême alors que les classes sont moroses. Tous les personnages adolescents sont également complètement interchangeables tant le lycée les fait rentrer dans un moule étroit.

Autre institution malmenée: la police. D’une inefficacité totale, elle n’est là que pour interroger inlassablement Michele et souvent sans raison: le faire se sentir coupable. Avant l’arrivée de Bianca, c’est une culpabilité d’être célibataire qui l’accable, ensuite c’est tout l’inverse, presque un délit d’amour. Là aussi d’une manière très tranchée, Moretti tente de nous démontrer que la société n’admet pas le côté “absolu” des sentiments de ce personnage.

Enfin, dernière scène qu’on interprète pour vous, celle où Michele est seul sur la plage alors qu’autour de lui les couples s’étreignent. Dans ce plan large qui va ensuite se concentrer sur la multitude de couples environnants, on va appuyer l’aspect solitaire de ce protagoniste hors du commun.

Trop abstraite pour convenir à tous, l’œuvre n’en reste pas moins pertinente. Ceux qui accepteront de s’y perdre navigueront entre sourire et émotion: un panel complet d’une dissertation autour du sentiment amoureux.

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

Laisser un commentaire