2022
Réalisé par : Ross White, Tom Berkeley
Avec : Seamus O’Hara, James Martin, Paddy Jenkins
Film vu par nos propres moyens
Des terres sauvages de leur Irlande natale au tapis rouge du Dolby Theatre, les réalisateurs Ross White et Tom Berkeley séduisent le monde du cinéma. Honoré cette année par une nomination aux prochains Oscars pour le court métrage An Irish Goodbye, le jeune tandem se fait un nom dans un milieu souvent confidentiel, malgré leur maigre filmographie commune. Réunis sous la bannière Floodlight Pictures, la société de production qu’ils ont eux-mêmes fondée pour financer leurs projets en jouissant d’une indépendance totale, les deux metteurs en scène n’avaient jusqu’alors collaboré qu’une seule fois, pour Roy, sorti en 2021. Uni par une même poésie et une approche douce du septième art, le duo d’artistes affirme son identité en seulement deux films, assumant une part de naïveté pour décupler la pureté des émotions. Pari réussi pour les deux britanniques. Couronné d’innombrables prix sur les circuits festivaliers, la fable familiale An Irish Goodbye se fait aussi loufoque que touchante, aussi candide narrativement que maîtrisée visuellement. Des larmes aux rires, la ballade nord-irlandaise de Ross White et Tom Berkeley compense son manque d’originalité par sa sincérité et sa vision empathique de l’être humain.
Au centre du récit, deux frères réunis dans leur ferme familiale affrontent le deuil de leur mère récemment décédée. D’apparence, tout oppose les protagonistes. Turlough (Seamus O’Hara) a quitté depuis longtemps son village pour s’établir en Angleterre, tandis que Lorcan (James Martin), frappé du syndrome de Down, est resté auprès de son aïeule jusque dans ses derniers instants. Autour des cendres de la défunte, leurs divisions s’expriment dans des joutes verbales qui illustrent leurs différences. Néanmoins, une découverte contraint Turlough et Lorcan à faire cause commune dans un dernier hommage à la disparue. Se sachant au seuil de la mort, la mère des héros a établi une liste de cent choses à faire avant de mourir, sans parvenir à accomplir la moindre tâche. Urne funéraire en main, les deux personnages principaux accomplissent chacun de ces souhaits et trouvent progressivement un terrain d’entente nouveau.
Avec humour et tendresse, An Irish Goodbye trace une voie salutaire, même si grossière, de la douleur du deuil jusqu’aux plaisirs retrouvés de la vie. Si la mort paraît omniprésente au début du film, elle lève progressivement son voile oppressant pour laisser percevoir une lumière vacillante mais concrète au bout du tunnel du chagrin. Ross White et Tom Berkeley confrontent ainsi un décor désenchanté aux teintes macabres, loin de l’Irlande du Nord fantasmée de carte postale, à la chaleur des relations humaines retrouvées. Lorcan et Turlough ont vu leur monde s’effondrer avec le décès de leur mère, et les évocations funestes les entourent. Sur la route qui les mène à la ferme, comme un obstacle inévitable, le cadavre d’un lapin entrave leur progression. Impossible de se soustraire à la fatalité, ils ne peuvent que l’accepter et continuer d’avancer. En prolongeant ce plan introductif, An Irish Goodbye fait de la mère des héros une présence presque tangible. L’urne est visible dans presque tous les plans du court métrage, mais surtout, la voix en off de la défunte accompagne l’ensemble de l’œuvre, dans l’énumération des tâches à accomplir. Revenue d’outre-tombe, l’ancêtre guide ses fils vers l’acceptation de leur peine, exprimée dans le dénis pour Turlough et la colère pour Lorcan. Le souvenir n’est pas source de douleur, mais plutôt un cocon chaleureux qui enveloppe les protagonistes. Exaucer les souhaits de la défunte devient un rite salvateur qui réconcilie les âmes séparées par les épreuves de la vie et qui transcende les différences pour mener à l’élévation spirituelle. Faire face au chagrin n’est plus un parcours solitaire, mais un chemin sinueux qui s’arpente à deux. Les frères semblent même faire l’expérience d’une vérité supérieure que An Irish Goodbye refuse de conférer à la religion. Un homme d’Église est présent en introduction et en conclusion du film, pourtant il n’est qu’un bouffon grotesque, sans doute trop, qui n’est jamais garant de réconfort. Turlough et Lorcan ont trouvé leur propre essentiel mystique en se détournant des préceptes usuels, dans leur douce quête saugrenue. Malheureusement, la grande ingénuité propre au court métrage empêche souvent d’être en accord parfait avec les deux personnages principaux, naïfs par nature.
An Irish Goodbye est donc une histoire de désunion, avant la fusion très prévisible de la fin du film. Plus habiles dans la mise en scène que dans le texte, Ross White et Tom Berkeley s’amusent avec malice à opposer visuellement leurs protagonistes aux moments dramatiques, pour mieux les rassembler autour du souvenir de leur mère lors de l’accomplissement étrange des cent tâches. Les deux réalisateurs ne réinventent pas le langage cinématographique, mais ils se l’approprient à merveille en confrontant champ et contrechamp, voire face-à-face clair, au plus fort de la discorde, tandis que les séquences de symbiose entre les deux frères les montrent généralement sur un seul plan, regardant cette fois dans la même direction. La réalisation souligne le propos profond du court métrage avec une subtilité formelle bienvenue qui atténue la lourdeur intrinsèque du scénario. Le choc entre des êtres issus d’un même foyer mais désormais si différents se révèle plus pertinent lorsqu’il n’est que suggéré. Ainsi, le handicap de Lorcan n’est jamais un pivot de l’histoire, pourtant dans un instantané rapide, le court métrage insuffle l’idée qu’à travers les souhaits de sa mère, l’handicapé démontre sa capacité à vivre seul. Le retour incessant à des dialogues peu inspirés, qui ne font que réaffirmer grossièrement ce qui était déjà assimilé, se révèle alors exaspérant. Dans une grande frustration, An Irish Goodbye oscille entre l’allusion délicate et le martelage oppressant. Le film reste néanmoins touchant dans son invitation à partager le deuil. Les cendres de la mère ne peuvent pas être divisées en deux, chacun des personnages doit s’ouvrir à l’autre et faire fi des différences pour trouver secours et réconfort.
Si le but est louable, le schéma narratif de An Irish Goodbye laisse toutefois l’impression d’avoir été vécu de trop nombreuses fois au cinéma. Même si Ross White et Tom Berkeley se démarquent de leurs pairs en associant la liste de souhait à une morte et non pas à un personnage vieillissant, le principe scénaristique qui porte le film est profondément éculé. Les deux réalisateurs espèrent probablement que leurs gags apportent un souffle d’originalité, mais la grande paresse de leur écriture s’y manifeste également. Difficile de trouver une substance philosophique satisfaisante entre deux scènes de pet, complètement gratuites et parfaitement inutiles. Loin de profiter au récit, le rire n’est ici que potache. La grossièreté du script prive même An Irish Goodbye d’une part de sa consistance. Dans un rebond inattendu, Lorcan devrait devenir le véritable garant de la mémoire de sa mère, mais le repli vers la facilité et la naïveté le dépossède de ce rôle pour le métamorphoser en guignol. L’ultime scène du film devient une manifestation explicite du peu de délicatesse des deux réalisateurs et scénaristes. Le message est totalement assimilé par le spectateur, partiellement galvanisant, mais Ross White et Tom Berkeley choisissent de l’accentuer par la vision d’un feu d’artifice. An Irish Goodbye aurait pû être touchant, mais ses deux auteurs semblent parfois ne pas faire confiance à leur force d’évocation et se réfugient vers une lourdeur déprimante.
An Irish Goodbye conserve une part de sensibilité et de maîtrise visuelle qui fait son charme, mais une accumulation de grossièretés scénaristiques perturbe l’appréciation du film, laissant un goût amer au public.
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