(The Contractor)
2022
Réalisé par: Tarik Saleh
Avec: Chris Pine, Ben Foster, Gillian Jacobs
Film vu par nos propres moyens
La trajectoire de l’artiste suédois Tarik Saleh a de quoi dérouter. Homme aux casquettes multiples, aussi bien écrivain que réalisateur, journaliste que graffeur, il mène son insaisissable carrière sur plusieurs fronts. Pour comprendre l’essence profonde qui anime sa démarche filmique, il convient de se référer avant tout à la poignée de longs métrages qu’il a lui-même écrits et mis en scène. Après un bref passage dans le giron du fantastique avec Metropia, en 2009, dans lequel il fait étalage de son talent pour l’animation, c’est son Le Caire Confidentiel qui le propulse sur le devant de la scène internationale, en 2017. À travers une proposition lourde, empreinte de gravité, Tarik Saleh livre un pur film noir, ancré sur la terre de ses ancêtres, et expose déjà un héros solitaire livré à lui même. Dès lors, le cinéaste n’est plus un inconnu, et ses œuvres sont attendues, à l’instar de La Conspiration du Caire, nouveau voyage égyptien, en sélection à Cannes cette année. Pourtant, Tarik Saleh mène une autre carrière, paradoxalement plus humble, de l’autre côté du Pacifique, aux USA. Il est même fort probable que sans le savoir, vous ayez un jour été confronté à l’une de ses réalisations, puisque l’artiste a officié pour la télévision, au gré d’épisodes en nombre très restreint pour Ray Donovan ou encore Westworld. Il suit donc un parcours assez classique au pays de l’Oncle Sam, qui fait doucement connaître son nom. Le retrouver à la tête d’un film estampillé Amazon Prime Vidéo, avec Le Contracteur n’est donc pas réellement une surprise. Ce qui se révèle plus étonnant, c’est le parterre d’acteurs relativement connus qui se greffe à ce projet de film d’espionnage aux accents musclés: Chris Pine, Ben Foster, Gillian Jacobs et même Kiefer Sutherland ne sont certes pas les rois du box-office, mais leur réputation est un atout majeur pour un long métrage au budget serré. Que de promesses pour ce Contracteur qui, bien que pourvu de quelques idées intéressantes, peine à honorer son statut.
Une forme de désillusion du rêve américain amorce le récit. James Harper (Chris Pine) est un soldat convaincu du bon sens de sa mission, mais qui se voit renvoyé de l’armée pour avoir utilisé des analgésiques et autres produits dopants afin de supporter une blessure au genou qui l’handicape. Criblé de dettes et désormais sans revenu, il se tourne vers le monde des contracteurs privés, ces sociétés qui officient pour les intérêts de grands groupes, ou en soutien des militaires dans des opérations délicates. Sous l’impulsion de son ami Mike (Ben Foster), il accepte de participer à une mission en Allemagne, visant à interroger et à exfiltrer un scientifique soupçonné de travailler pour des terroristes. Malheureusement, sur le terrain, la machine s’enraye, et la capture vire au bain de sang. Isolé de ses camarades, traqués par la police et par ses commanditaires qui souhaitent l’abattre pour supprimer toutes traces, Jake tente de survivre et de retourner auprès de sa famille.
Pour amorcer sa réflexion profonde, et avant de s’adonner à un cocktail d’action explosif, Le Contracteur s’accorde de longues minutes pour démystifier un rêve américain qui tourne ici au cauchemar. Dans un pays où la tradition militaire est souvent glorifiée, le bon soldat Jake est totalement abandonné par ses pairs. Tarik Saleh commet l’impair de trop souligner le caractère de son héros, mais son exagération sert un axe de lecture plus profond sur ceux qui ont consacré leur vie à un idéal, même si celui-ci est contestable. Chris Pine apparaît toujours droit physiquement, comme un piquet, et son salut militaire parfaitement exécuté l’assimile à un patriote convaincu. L’affichage de quelques maximes propres aux G.I. accentue encore davantage cet héritage corrompu. Le film devient même presque ironique au moment où Jake est renvoyé de l’armée: dans une ultime séquence sur le terrain d’entraînement, le héros salue le drapeau une dernière fois. Tout l’abandon des soldats sert de dynamique au récit, et la souffrance physique de ce personnage principal matérialise le sacrifice qu’il a consenti pour sa nation. Une forme d’extrême précarité propre à la famille de Jake finit d’achever ce portrait désenchanté. Pourtant, sur des terres où le capitalisme règne en maître, le secteur privé s’apparente à un miroir aux alouettes. Perçu dans un premier temps comme un Eldorado, tandis que les bureaux de la société de mercenaires s’installent au milieu d’un jardin luxuriant, la compagnie que dirige Kiefer Sutherland se révèle finalement plus sournoise et inhumaine que l’armée, dans une logique beaucoup insidieuse de broyage humain. Finalement, l’homme simple et écartelé par les idéaux dans Le Contracteur, la société opprime Jake.
Le morcellement de la vertu trouve même un écho encore plus vif lorsque le protagoniste principal se rend en Allemagne, pour accomplir sa mission. Le Contracteur condamne Jake aux tourments de l’âme alors qu’il se rend coupable du pire envers l’homme qu’il pensait simplement capturer. Outre le fait que Tarik Saleh oppose la conviction presque religieuse qu’à son personnage envers les ordres qu’il reçoit, contre la parole d’un scientifique qui prouve par les faits, l’œuvre s’aventure dans une sphère philosophique plus intense. Le long métrage passe probablement trop de temps à installer un contexte familial à la cible de Jake, cherchant par là même à mettre en parallèle les deux hommes, mais il en résulte une notion de pénitence accolée au héros. Lui qui a fauté, qui a commis le crime le plus odieux et impardonnable, qui a ôté la vie à un homme, ne peut plus regagner son pays, l’idéal qui était le sien. Le retour auprès de sa femme et son fils lui est interdit par le scénario, mais également celui vers une Amérique fantasmée: le QG de ses décisionnaires est appelé “Le Ranch”, renvoyant à l’image idéalisée des USA, à sa légende souvent romancée.
Dans le développement de la cellule familiale propre à Jake, les difficultés scénaristiques du Contracteur apparaissent également, en premier lieu desquelles une forme de facilité, voire de grossièreté, exaspérante. Les longues séquences sur un Jake aimant qui apprend à nager à son fils possèdent une mise en image stéréotypée qui ne manquera pas de faire grincer des dents, même si cela reste cohérent dans le récit. C’est lorsqu’il est plus subtil, au moment de dépeindre l’enfance de son héros, que Tarik Saleh trouve davantage de consistance. Ici, le cinéaste opte pour des visuels plus évanescents, des flashbacks vaporeux et brefs, lors desquels Jake, adolescent, se voit tatouer le drapeau américain sur le bras, sous l’œil d’un père qu’on devine ultra patriotique. Les notions de devoir envers le pays et familiales sont entremêlées et salies, l’enfance devient un moment traumatique, une étape vers le conditionnement de Jake. À une autre reprise, Le Contracteur répète cette idée, lorsque Jake est camouflé dans la forêt allemande, et qu’il aperçoit un tout jeune garçon manipulant une arme au cours d’une partie de chasse. Malheureusement, Tarik Saleh ne semble pas avoir les coudées franches pour tisser cette idée plus en avant, et s’enferme dans une logique de film d’action qui ne lui sied guère, sûrement exigée par les financeurs du film.
Car de toute évidence, le réalisateur suédois n’est pas un foudre de guerre en ce qui concerne les séquences explosives. Pour quiconque est au fait de la filmographie de l’artiste, il est même assez clair que Tarik Saleh est presque écrivain avant d’être faiseur d’image. En héritant d’un script qui lui impose que plus de la moitié de son film soit dévolue à l’action brute, le metteur en scène est contrarié dans le développement de ses idées. On pourrait même parler de long métrage bâclé sur le plan visuel, tant certaines erreurs grossières de montage se glissent dans Le Contracteur, faisant parfois passer l’œuvre pour la copie d’un élève dilettante qui n’aurait pas relu avant de rendre son devoir. Tarik Saleh commet aussi l’erreur de ne pas choisir entre une représentation réaliste de la violence, et une décomplexion assumée. Certaines scènes évoquent la souffrance la plus profonde qui frappe un individu au bord du gouffre, avec une vraie lourdeur, tandis que d’autres séquences mal assemblées accumulent cascades grotesque et explosions exagérées. On a presque l’impression que Le Contracteur est un film d’action accompli par un homme qui souhaitait réaliser un drame.
Peut être que cette dichotomie du récit découle de la manière dont Le Contracteur dépeint la mort, et le moment précis où l’on passe de vie à trépas. À plus d’un moment, le décès est synonyme de libération physique ou philosophique. Au bord du précipice, les hommes semblent parfois renouer avec un essentiel: un homme se sacrifie pour ses camarades, ou implore le salut de sa famille dans ses dernières paroles. On comprend alors que pour les personnages du film, le passage de la faucheuse est parfaitement compris, et anticipé depuis de longues années. Jake ne s’émeut même plus lors des funérailles militaires de ses anciens alliés. Pire, lui et Mike rigolent devant la tombe d’un ami. Le Contracteur danse avec la mort, trébuchant régulièrement, et peinent malheureusement à se relever.
Le Contracteur est rempli de bonnes idées, qui ne seront jamais poussées jusqu’au bout. En se cantonnant à un film d’action bas du front, Tarik Saleh se voit contrarié dans la profondeur qu’il souhaitait insuffler à son récit. Lorsqu’en plus le film commet des erreurs visuelles grossières, et souligne trop son propos, il en devient oubliable.
Le Contracteur est disponible sur Amazon Prime Vidéo.