(A feleségem története)
2021
Réalisé par: Ildikó Enyedi
Avec: Léa Seydoux, Gijs Naber, Louis Garrel
Film fourni par Pyramide Distribution
Forte d’une carrière courant désormais sur plus de 30 ans, la cinéaste Ildikó Enyedi délivre pourtant ses longs métrages au compte-gouttes. Loin d’avoir une filmographie pléthorique, la réalisatrice hongroise n’exprime pas son talent indéniable dans des explosions frénétiques de cinéma, mais préfère se faire rare, pour mieux réfléchir chacune de ses œuvres. Pourtant, Ildikó Enyedi n’évolue pas sous les radar, et connaît même une certaine reconnaissance au fil des années. Ainsi, en 2017, son Corps et âme, marqué d’un symbolisme et d’une poésie prononcés, avait fait grand bruit, glanant entre autres l’Ours d’Or du Festival de Berlin, et écopant d’une nomination aux Oscars dans la catégorie “meilleur film en langue étrangère”. De quoi installer un peu plus la stature de la cinéaste, et transformer chacun de ses nouveaux essais en rendez-vous cinéphiles. 4 ans après la consécration, elle nous revient aujourd’hui avec L’histoire de ma femme, pour lequel elle adapte le roman de Milán Füst, un autre hongrois qui a rythmé la vie littéraire de son pays au siècle dernier. Pourtant, impossible pour Ildikó Enyedi de ne pas insuffler son esprit dans son travail, métamorphosant l’histoire très introspective sur le papier en véritable dialogue à l’écran, articulé autour des performances de Gijs Naber et Léa Seydoux.
Le premier interprète le capitaine de navire Jacob Storr, un marin au long court passionné par sa vie faite de voyages, mais désireux de s’établir également sur la terre ferme pour contenter les élans de son cœur. Pour y parvenir, il fait le pari avec un ami d’épouser la première femme qui franchira la porte du café où ils se réunissent. Cette élue n’est autre que Lizzy, incarnée par Léa Seydoux, une parisienne fêtarde, à la personnalité insaisissable, qui accepte toutefois l’étrange proposition de Jacob. Cependant, leur union ne se fait pas sans heurt, et leur relation est teintée de sentiments mélancoliques et de jalousie, poussant lentement les deux époux, et essentiellement le capitaine, dans leur derniers retranchements, alors que passent les années.
La naissance du sentiment amoureux est le point de départ indispensable de toute romance, et L’histoire de ma femme choisit de s’écarter des sentiers balisés par le genre pour offrir à son récit une notion de passion viciée, dès les première secondes. Jacob ne s’éprend pas banalement d’une jeune beauté, mais choisit de s’établir avant même la rencontre. Bien sûr, la fascination pour Lizzy vient ensuite, mais c’est en réponse à un malaise physique que le capitaine opte pour une vie plus conventionnelle. En proie à des troubles digestifs, il pense que l’amour saura soulager son corps, et c’est là toute la motivation de son ancrage sur la terre ferme. Loin de vouloir donner satisfaction à son personnage principal, le film souligne finalement les tourments moraux qui habitent dès lors Jacob, faisant de son existence une véritable survie dans les affres moraux qui sont les siens. Faisant fi d’une love story galvaudée, Ildikó Enyedi parle plus volontiers, dans l’interview présente dans les bonus du Blu-ray, d’une forme d’éducation forcée pour son héros, d’un chemin de vie qu’il ignore totalement et qu’il découvre dans la douleur.
De souffrances, il ne cesse par ailleurs d’en être question, tout au long du film. La jalousie qui ronge Jacob, et dont le bien fondé est laissé en suspend jusqu’aux ultimes secondes, apparait comme le thème principal de l’œuvre, la clé de voute de L’histoire de ma femme. De quoi transformer l’amour en véritable maladie, dont les manifestations sont le plus souvent psychiques, mais parfois aussi physiques. En renonçant à sa vie au grand air, dans une certaine mesure, les héros du long métrage succombe à une part sombre de l’être humain qu’il ne sait appréhender et qui impose à lui une remise en question perpétuelle. Impossible pour lui de trouver un équilibre salutaire entre attachement et liberté, qu’il refuse d’ailleurs en grande partie à sa femme passé la moitié du film.
Pour transporter ses idées, Ildikó Enyedi s’appuie sur une esthétique particulièrement léchée, dont la photographie ne laisse aucune place au hasard. Le jeu d’ombre et de lumière qui recouvre les personnages alimente leur tourments psychiques, souligne leur égarement, entre profond effroi et parenthèses plus enchantées. Ainsi, la scène mettant en image un incendie en mer renvoie Jacob à ses propres démons, qui contaminent son espace de liberté. La dynamique autour des volumes que prend chaque habitat du couple est également traitée avec soin. À mesure que Jacob doute et ressert l’emprise qu’il à sur Lizzy, L’histoire de ma femme propose des décors de plus en plus étriqués, selon une grammaire filmique simple mais efficace. De nombreuses ellipses, indispensables compte tenu du métier de Jacob, ponctuent également le récit et donnent au film une chronologie savamment chaotique. Ce que le spectateur éprouve comme une poignée de seconde, à l’instar du héros, Lizzy l’a elle vécut sur plusieurs mois, et font de ces voyages d’étranges bond dans le temps.
Pourtant, c’est bien en mer que Jacob apparaît le plus épanoui. Outre la franche camaraderie, elle toujours sincère, qu’offre ses périples, c’est sur les flots incessant que le marin apparaît héroïque et téméraire, là qu’il est reconnue à sa juste valeur. Cependant, impossible de trouver un réel équilibre entre cet espace de bonheur, et la douleur de délaisser Lizzy, au point de renoncer totalement à son épanouissement personnel en optant pour des tâches qui l’éloignent de moins en moins de la terre ferme. L’amour semble régulièrement s’opposer à l’esprit aventureux de Jacob, ses responsabilités de capitaine ne sont strictement jamais compatibles avec celles d’époux, qui plus est lorsque le doute le ronge. À chaque nouveaux chapitres qui découpent le film, émerge un renoncement de plus en plus fort à ce bonheur maritime.
En filigrane, L’histoire de ma femme se pose également en témoin d’une société injuste, dans laquelle le mérite n’est pas récompensé à sa juste valeur. Kodor, l’ami de Jacob, et truant patenté, vit une ascension sociale que le héros du film, pourtant bien plus méritant, ne connaît absolument pas. Dans l’Europe d’avant Seconde Guerre mondiale que dépeint le long métrage, la décadence pointe son nez à chaque scène. Un monde du paraître émerge, et renvoie encore un peu plus Jacob à son incapacité à s’adapter au monde des hommes. Sur une reconstitution virtuose, Ildikó Enyedi nous propose un voyage temporel: son film ne peut que difficilement se transposer à notre époque, mais il sait parfaitement restituer les carcans sociaux de l’époque, et leur décadence.
Ildikó Enyedi théorise avec habilité les déboirs sentimentaux d’un homme qui doit tout apprendre dans L’histoire de ma femme. Profondeur de fond et soin visuel font de son film un moment poignant, parfois traînant mais toujours à bon escient, pour mieux affiner son propos.
L’histoire de ma femme est disponible chez Pyramide Films, dans une édiion comprenant également:
- Scènes coupées
- Making of
- Entretien avec Ildiko Enyedi