Last of the Mobile Hot Shots
Last of the Mobile Hot Shots affiche

1970

Réalisé par: Sidney Lumet

Avec: James Coburn, Lynn Redgrave, Robert Hooks

Film vu par nos propres moyens

En matière de cinéma, la recette parfaite n’existe pas. Peu importe le nombre de talents invités à l’élaboration d’un long métrage, le succès n’est jamais garanti. En 1970, Sidney Lumet en fait la douloureuse expérience avec Last of the Mobile Hot Shots. Sur le papier, tout semblait idéal: en adaptant une pièce de Tennessee Williams, le réalisateur renoue avec un auteur qu’il avait magnifiquement su porter à l’écran dans L’homme à la peau de serpent. Au scénario, Sidney Lumet peut également compter sur Gore Vidal, dont le nom a été associé à des projets titanesques comme Ben-Hur ou Paris brûle-t-il. Devant la caméra enfin, la présence de Lynn Redgrave, pour la deuxième fois dans un long métrage du cinéaste, et surtout celle de James Coburn devraient permettre au film de briller. Seulement voilà, l’acteur principal du film le dit lui même: “Quand Sidney Lumet a une idée en tête, il va jusqu’au bout, même si elle est mauvaise”.

Dans Last of the Mobile Hot Shots, le réalisateur nous propose de suivre un duo bien particulier: Jeb (James Coburn) et Myrtle (Lynn Redgrave) se rencontrent dans le public d’une émission de télévision. Pour participer au jeu, il se font passer pour un couple, bien qu’ils ignorent tout l’un de l’autre. Grand vainqueur du concours, ils remportent une cuisine toute équipée mais la surprise ne s’arrête pas là: ils obtiennent la possibilité d’empocher 5000$ supplémentaires s’ils se marient sur le plateau, ce qu’ils acceptent. Suite à une cérémonie grotesque, Jeb conduit Myrtle sur sa propriété, où se déroule la majeure partie de l’action du film. Une ancienne plantation typique du sud des USA que Jeb entend restaurer de fond en comble, comme à l’époque de l’esclavagisme. Cependant, ce personnage est mourant, et en cas de décès, la demeure reviendra à son demi-frère surnommé Chicken (Robert Hooks), un homme à la peau noire, fils illégitime du défunt père de Jeb. Le mariage fait toutefois de Myrtle l’héritière du domaine. La jeune femme se retrouve prise en étaux entre ces deux hommes, qui se détestent foncièrement.

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Avec Last of the Mobile Hot Shots, Sidney Lumet renoue avec deux de ses amours: l’adaptation d’une pièce de théâtre, un art qu’il aimait temps, mais aussi la grammaire du huis-clos. Passé les 15 premières minutes du film, tout le reste du long métrage prend place dans cette demeure sinistre qui invite l’Histoire houleuse du pays et la thématique de lutte pour l’égalité, encore vive en 1970, au centre du récit. Symboliquement, Jeb garde religieusement l’uniforme confédéré de son grand-père, comme un véritable trésor, alors que le costume invite au dégoût.

C’est ouvertement que Sidney Lumet utilise l’Histoire pour parler du présent: le fantôme de cette bâtisse qui tombe en ruine peut métaphoriquement faire penser à l’état de son pays, en plein déchirement au moment du film. Le cinéaste joue de la symbolique dans sa mise en scène: la cuisine moderne gagnée par le couple de circonstance reste toujours à l’extérieur de la maison, sous la pluie. Le progrès n’est pas invité dans ce décor où la mentalité étriquée de Jeb s’exprime. L’annonce d’une inondation prochaine qui noierait la maison fait également penser à la colère des minorités opprimées, qui à terme dévasteront un système ségrégationniste, à force de vexations. Ce couperet est annoncé avec certitude, très tôt dans le film, et le reste de l’action se déroule dans l’attente de ce désastre.

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Sous le couvert de la comédie, le sujet du film se fait même tellement sensible que Sidney Lumet brave les interdits. Last of the Mobile Hot Shots est pendant longtemps classé X aux États-Unis, alors que visuellement peu de choses sont concrètement discutables. Mais en 1970, montrer des actes sexuels qui mêlent des personnes à la peau blanche et d’autres à la peau noire est loin d’être admis par la censure injuste, même lorsqu’ils sont seulement suggérés. Dans un plan de coupe, le cinéaste nous montre même un bébé, probablement Jeb enfant, allaité par une femme noire. La mixité est un terme central et la révolte sociale poussera même le réalisateur à signer un documentaire sur Martin Luther King la même année.

Malheureusement, le ton employé par Sidney Lumet n’est pas le bon et devient perturbant. On voudrait souscrire à sa colère, mais le long métrage s’embourbe dans ses élans comiques qui ne font rire personne. En oscillant entre l’humour et le drame, Last of the Mobile Hot Shots ne trouve jamais l’équilibre, il se noie et perd de sa force d’évocation. Le combat est juste, mais l’arme est émoussée. D’ailleurs, la pièce de théâtre originelle n’a, elle non plus, jamais rencontré le succès à Broadway, totalisant à peine une vingtaine de représentations.

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Ce problème se cristallise autour du personnage de Myrtle, agaçante au plus haut point en godiche peu débrouillarde. Le rôle exige une certaine légèreté de la part de Lynn Redgrave qui ne parvient pas, là non plus, à trouver le mélange juste. Elle s’enlise dans une prestation à l’humour “tarte à la crème” bien peu convaincante, alors qu’en face d’elle James Coburn est égal à lui-même, tout en intensité, et que Robert Hooks s’impose comme la vraie révélation du film. Last of the Mobile Hot Shots propose deux personnages forts, mais celle qui a la mission essentielle de faire le pont entre eux est hors de ton. Seule une scène où Chicken jette un chat à l’eau par cruauté donne de l’épaisseur à Myrtle. Elle est comme le félin, prise au piège, noyée par les flots.


Constatons toutefois une certaine évolution dans l’approche graphique de Sidney Lumet. Comme nous l’avions mentionné dans l’article précédent de notre rétrospective, Le Rendez-vous a transformé le cinéaste, son utilisation de la couleur est plus cinglante. L’opposition entre le monde de la télévision, aux couleurs criardes et artificielles, et celui de la demeure de Jeb, complètement terne, n’est assurément pas innocente. De manière plus expressionniste, le cinéaste signe également quelques jolis plans où la pénombre tombe sur le domaine, mais dans des teintes rougeâtres envoûtantes. Le style sans la force du propos ne suffit cependant pas.

Last of the Mobile Hot Shots est édité par la Warner

Last of the Mobile Hot Shots est un ratage. Tout semblait réuni pour offrir un bon film, mais le long métrage se perd en optant pour le ton de la comédie, bien peu drôle, au lieu de pousser plus loin sa réflexion sur la société américaine.

Nicolas Marquis

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