(King Richard)
2021
Réalisé par: Reinaldo Marcus Green
Avec: Will Smith, Saniyya Sidney, Aunjanue Ellis
Film vu par nos propres moyens
Le biopic centré sur les sportifs emblématiques américains est un exercice bien connu, auquel le cinéma de l’Oncle Sam s’adonne invariablement au fil des années. Toujours prompt à ancrer sur grand écran les parcours de ceux qui nous font rêver par leurs performances physiques, le 7ème art y adjoint bien souvent des questions d’inégalités sociales et raciales,témoignages de la douleurs de ceux qui ont été et sont encore opprimés. Ainsi, parmi les célèbres exemples, Chadwick Boseman incarnait en 2013 Jackie Robinson dans 42, le premier joueur de baseball afro-amérincain, victime des mentalités fermées de l’époque. Dans la même veine, Will Smith, déjà lui, avait également prêté ses traits au boxeur mythique Muhammad Ali dans un film de Michael Mann, chronique des combats aussi bien sur le ring que politiques de l’athlète.
De retour dans le monde du sport, le célèbre acteur apparaît aujourd’hui dans le rôle principal de La Méthode Williams, avec une particularité notable: le long métrage ne se centre pas réellement sur les tenniswomen Venus et Serena, mais davantage sur leur père Richard. Un homme obstiné qui élabore dès la naissance de ses filles un plan de carrière en 78 pages pour les propulser au sommet du monde de la balle jaune, avec le succès qu’on connaîtra par la suite. D’entraînements quotidiens dans les banlieues sordides de Los Angeles en tentatives de trouver un coach émérite qui prendrait les deux prodiges sous son aile, le parcours de Richard et sa famille se dessine comme une ascension irrésistible où la témérité l’emporte sur l’adversité et les préjugés.
Vision unique
Si l’intention de basculer dans l’envers du décor et d’épouser la trajectoire d’un homme de l’ombre, dans les coulisses de la gloire de ses filles, semble de prime abord intéressante, tout le cœur des soucis liés à La Méthode Williams réside dans ce parti pris écrasant. Le manque de diversité dans les points de vues perturbe: on n’évalue jamais Richard par rapport aux ressentis de ses proches, mais on opte ici pour le choix permanent d’adhérer à sa quête, d’être propulsé dans son âme. Pour preuve, Will Smith apparaît omniprésent, inclus dans la quasi-totalité des plans du film. Même lorsqu’on perçoit que ce père se trompe, qu’il dérape, le terrain scénaristique est préparé pour que toutes les excuses du monde lui soient trouvées.
Il est aussi de mise de s’interroger sur la curieuse façon qu’a le réalisateur Reinaldo Marcus Green de se refuser à se placer, sauf à quelques rares occasions, dans la peau des enfants Williams. Certes, le sujet du film est l’obstination de Richard, mais de là à faire de Venus un instrument, de Serena un personnage effroyablement loin de l’intrigue, mais surtout du reste des membres de la famille de simples figurants, il y a là un manque de réflexion sur le sujet.
Thématique absente
Ce qui pose un problème plus large, auquel La Méthode Williams se soustrait affreusement vite. Jusqu’à quel point peut-on formater ses enfants pour assurer leur réussite? Là-dessus, le film (coproduit par les sœurs Williams, au passage) démissionne de sa mission réflective. Presque jamais on ne remet en cause les méthodes franchement tyranniques d’un homme aussi froid que mégalomane. Tout cet aspect du film transpire accidentellement par pur instinct humain primaire: on est meurtri dans notre chair de voir ces enfants passer leur jeunesse à transpirer sur les courts de tennis, mais le long métrage nous pose cette idée comme indispensable, le seul échappatoire possible, le socle de la Success Story américaine.Pourtant, une autre des soeurs Williams se consacre elle aux études, mais ce protagoniste est complètement évacué du récit, à vitesse grand V. Une véritable gageure alors qu’un débat sur le modèle de réussite des sportifs fait partie des thèmes de société actuels aux États-Unis.
Quelques personnages s’opposent bien à Richard malgré tout, mais La Méthode Williams les tourne en ridicule. Le coach qui prend finalement Venus et Serena sous son aile est un complet bouffon, inconscient de ce qui est bon pour leur carrière, voire même sous-entendu comme néfaste. Plus parlant visuellement, une voisine des Williams qui fait appel aux services sociaux pour signaler ce qu’elle perçoit comme de la maltraitance: au sortir d’une séquence perturbante avec les employés de l’État, où les dialogues semblent trop écrits, la mère Williams confronte celle qui les a dénoncés. Cette femme est représenté derrière les barreaux de sa porte, enfermée dans son monde. Lorsqu’en plus on avance l’idée qu’elle a failli elle-même à son rôle de génitrice, l’autocritique des Williams prend l’eau.
Le pire des deux mondes
Dans l’opposition des deux mondes sur lesquels s’attarde Reinaldo Marcus Green, le cinéaste échoue donc pleinement. Le ghetto de Compton est ici fantasmé, comme en témoigne ces personnages de vandales locaux qui après s’être battus avec Richard, dans un élan caricatural abject, finissent par adhérer à sa quête, sans raisons évidentes apparentes, juste par levier scénaristique pour justifier les agissements problématiques du héros du film. On perçoit bien la précarité de la banlieue américaine dans les décors, et on l’oppose ensuite au luxe des Country Club pour personnes fortunés, mais les quelques dialogues censés dénoncer ces inégalités sont lunaires, mal écrits et parasités par un Will Smith toujours au premier plan.
Plus étonnant, le manque de soin apporté à la représentation du tennis: l’image du cinéaste apparaît creuse, vide, sans intensité. On éprouve pas un seul instant le tumulte intérieur des tenniswomen, on s’entête juste dans une répétition des gestes plats, qui annule l’intensité d’un final relativement convenu et téléphoné. La Méthode Williams ne saurait contenter les amateurs de sport, même si le sujet n’est peut-être pas là avant tout.
Si l’ambition de La Méthode Williams avait de quoi séduire, le manque d’autocritique et de talent visuel en font un film franchement banal, voire parfois gênant.
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