La vie devant soi

(La vita davanti a sé)

2020

réalisé par:Edoardo Ponti

avec: Ibrahima GueyeSophia LorenRenato Carpentieri

L’exercice est récurrent mais toujours périlleux: transposer un classique de la littérature sur grand écran à notre époque reste un défi pour les réalisateurs, partagés entre respect de l’œuvre originale et envie de s’exprimer. C’est donc avec une certaine curiosité qu’on adopte le regard que porte Edoardo Ponti  sur “La vie devant soi”, le roman de Romain Gary. Un véritable monument de la culture française qui raflera le prix Goncourt à sa sortie et qui connaîtra une première adaptation cinématographique pour laquelle Simone Signoret remporte un César.

Nouvelle vision, nouveau cadre: c’est en Italie qu’on voyage cette fois pour suivre le destin de Momo (Ibrahima Gueye), un jeune migrant orphelin et solitaire qui vit de petits trafics. La garde de notre héros va être confiée à madame Rosa (Sophia Loren), une ancienne prostituée réscapée de la Shoah qui garde désormais les enfants des travailleuses du sexe. Un lien puissant va se tisser entre l’enfant et la vieille dame alors que l’état de santé de madame Rosa décline et que Momo cherche à se forger une identité en pleine adolescence.

C’est cette quête de personnalité qu’entreprend Momo qui va servir de moteur au film. Aussi roublard qu’attachant, le jeune protagoniste ouvre les yeux sur le monde et définit progressivement les valeurs qui seront les siennes. Son caractère déjà bien trempé se nuance chez ce personnage contraint de grandir trop vite. “La vie devant soi” saisit avec tact les angoisses et rêves de celui qui n’a rien. Dans la même veine, Momo va se retrouver confronté au regard des autres qui voudraient l’enfermer dans une case qui ne lui correspond pas, notamment sur la question de la religion. Ce héros n’a rien de discret, il resplendit à l’écran et se rebelle régulièrement.

Mais Momo reste un enfant qui ne possède pas encore toutes les clés pour appréhender le monde qui l’entoure. Sans modèle adulte concret, il est contraint de faire sens des incohérences de notre époque à travers le prisme de son jeune âge. Momo ne comprend pas son environnement, il est contraint de faire des déductions parfois farfelues comme lorsqu’il entrevoit le tatouage des camps de la mort sur le bras de madame Rosa. C’est avec une certaine candeur qui fait son charme malgré sa détermination que notre héros évolue.

« Là elle lui colle un poisson d’avril dans le dos. »

Grâce à un subtil travail de photo, Edoardo Ponti nous invite à nous identifier à Momo. Le plus souvent, la caméra va se positionner à hauteur d’enfant pour nous priver de notre ascendant sur le jeune garçon. Parfois, on va même adopter totalement le point de vue de Momo et éprouver encore un peu plus ses sensations. À d’autres moments, le cadre va se faire plus large et notre héros va apparaître frêle et chétif, prisonnier d’une jungle urbaine qui l’avale. Ponti ne révolutionne pas les codes du genre mais ce qu’il fait, il tente de le faire parfaitement.

Mais si le personnage de Momo nous est livré de manière relativement directe, il faudra creuser plus profondément pour apprécier madame Rosa. La Shoah qu’elle a subi est un élément capital à la compréhension du film mais c’est également une douleur qui se découvre au fur et à mesure, un tabou difficile à percer. C’est par cette opposition de caractères entre ses héros que Ponti va atteindre sa cible en plein cœur.

Il est d’ailleurs toujours agréable au passage de voir Sophia Loren s’investir et performer dans un rôle à sa mesure. La doyenne prend Ibrahima Gueye sous son aile et aide le jeune acteur à s’épanouir. Sophia Loren laisse un espace d’expression précieux pour Momo, une bulle personnelle dans laquelle l’introspection est la plus marquée.

Une notion de partage et d’enrichissement mutuel qui transcende le simple accomplissement des comédiens pour devenir le cœur du film. Momo et madame Rosa sont deux êtres blessés, à la dérive, qui vont se nourrir l’un de l’autre pour survivre. Cette alchimie transparaît avec une réelle pureté à l’écran et nous embarque pour un périple rempli d’émotions. Le trait d’union entre les deux protagonistes est naturel, sans jamais forcer ou tomber dans la facilité.

Puis, c’est enfin une vision cohérente du monde de la rue que nous propose “La vie devant soi”. Ponti n’oublie jamais de souligner les dangers de notre société hostile mais il s’écarte aussi d’une représentation remplie de clichés usuellement éprouvée. Il y a de la beauté cachée au fond de ce périple, même là où on l’attend le moins, et c’est ce qui fait la splendeur de l’œuvre.

La vie devant soi” est une relecture intimiste de l’œuvre de Romain Gary. Un film humble, conscient de ses forces et assumant ses faiblesses.

Nicolas Marquis

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