Tastr Time: 12 hommes en colère

(12 Angry Men)

1957

réalisé par: Sidney Lumet

avec: Henry FondaLee J. CobbMartin Balsam

Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “12 hommes en colère” de Sidney Lumet.

C’est certes suffisamment rare pour être souligné, mais il arrive parfois qu’un film soit à la hauteur de sa réputation. C’est le cas de “12 hommes en colère”, oeuvre magistrale du septième art pour laquelle les superlatifs manquent, adéquation parfaite entre le fond d’une envergure folle et la forme discrète mais diablement efficace. Pour ceux qui ne l’auraient pas encore vu, on vous ordonne de découvrir cette pépite du passé qui reste terriblement actuelle. Pour les autres, c’est l’occasion de se pencher à nouveau sur le long-métrage de Sidney Lumet pour revivre les émotions qu’il procure. Tentons de poser quelques lignes sur le film.

Nous sommes propulsés avec “12 hommes en colère” dans le secret des délibérations d’un jury dans un procès pour meurtre. Pur huis-clos, le long-métrage va exposer les débats qui animent ces êtres imparfaits alors que tous jugent le suspect coupable sauf un seul homme (Henry Fonda) qui va tout faire pour convaincre les autres protagonistes, un à un.

Cet assemblage de personnages qui forme les 12 jurés s’appuie sur des performances d’acteurs qui impressionnent. Chaque comédien réussit à amener une touche personnelle, quelque chose d’unique à chacun pour faire de ce panel une photographie des hommes de l’époque et de leurs philosophies de vie. L’un est un peu réac’, l’autre désintéressé, ou encore un autre d’origine modeste. C’est grâce à cette volonté d’exposer des personnalités opposées que le long-métrage va réussir à intervalles réguliers à se défaire de sa structure pour devenir par instants un brûlot social, au détour d’une simple phrase.

Au milieu de tous ces hommes surnage un Henry Fonda bouleversant d’humanité, l’électron libre qui va casser les chaînes des préjugés moraux des autres, un personnage en pleine tempête mais qui garde pourtant invariablement son cap. Sur ce point, le film nous apostrophe: Henry Fonda est presque plus vrai que nature, trop beau pour être vrai, mais c’est immédiatement qu’on comprend que si ce procès peut basculer grâce à un personnage principal courageux, 90% des autres délibérations sont le fruit de partis pris idiots.

On se renvoie la balle avec efficacité dans “12 hommes en colère”. Le film forme un ensemble très théâtral où les répliques fusent avec malice dans leur construction et où chaque déplacement à une signification plus profonde. Dans ces quelques mètres carrés étroits, le casting réussit à s’approprier les lieux pour s’affranchir des barrières.

« Tendu ce repas de Noël. »

Dans sa mise en images, l’immense Sidney Lumet va multiplier les plans séquences qui immergent le spectateur dans le secret des échanges verbaux, faisant presque de lui un protagoniste silencieux de la guerre des idées qui prend place. Dans cette construction, chaque coupure de ses longues scènes pour d’un coup se figer visuellement sur le visage d’un seul personnage devient un véritable point d’exclamation dans le récit. Sidney Lumet est maître du rythme et de l’intensité.

Pour autant, “12 hommes en colère” n’oublie pas de rester ludique et accessible. Pas la place pour l’ennui dans un film qui s’apparente par moment à un polar déguisé où on ne chercherait pas le coupable mais simplement à en écarter un. Lorsque Henry Fonda demande à rééxaminer les preuves, on quitte la sphère  idéologique du récit pour offrir une virgule de concret bien pensée. Rarement, voire jamais, un huis-clos aura été aussi ample que celui-ci.

Derrière tous ces procédés narratifs se cache un message d’espoir: il suffit d’une étincelle pour que la justice triomphe, de la volonté d’un seul homme dans sa quête morale pour qu’évoluent les choses. “12 hommes en colère” nous invite à devenir cette personne. Le film a ce pouvoir propre aux grands chefs-d’œuvre de nous remettre en cause pour nous tirer vers le haut. La trace qu’il laisse en nous est indélébile et capitale.

Car la justice des hommes apparaît défaillante dans le long-métrage, friable et fragile, tributaire du bon vouloir de quelques anonymes plutôt que de la recherche de vérité. Sidney Lumet mène une vraie charge politique contre une société en pleine dérive. Il refuse que la vie d’un homme se juge à la lumière des désirs de certains, il réclame ouvertement une remise en cause.

Le cinéaste va enfin également théoriser autour de la notion de “doute raisonnable », dénonçant ainsi la machine judiciaire. Certains sont prêts à se laisser convaincre par un procureur éloquent ou des témoins biaisés, sans jamais jauger la qualité d’un avocat de la défense vraisemblablement incompétent. “12 hommes en colère” tire à boulet rouge et fait mouche.

Authentique chef-d’œuvre du cinéma, “12 hommes en colère” ne vieillit pas. Son thème reste intemporel et sa qualité intrinsèque passe haut la main l’épreuve du temps.

Nicolas Marquis

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