1974
réalisé par: Bertrand Blier
avec: Gérard Depardieu, Miou-Miou, Patrick Dewaere
C’est toujours triste de voir un film mal vieillir. Ce qui nous semblait pertinent dans le contexte de l’époque devient dissonant aujourd’hui. Les mœurs évoluent et parfois, le long-métrage perd de sa substance. Mais ce n’est pas tout à fait le cas des “Valseuses”, ce road-movie fou porté par Patrick Dewaere, Gérard Depardieu et Miou-Miou. Le film garde son potentiel comique mais plusieurs tournants du scénario transforment “Les valseuses” en un mini-drame sociétal.
Cette histoire, c’est celle de Jean-Claude et Pierrot, deux amis inséparables qui vivent une vie de liberté totale. Ils prennent ce qu’ils veulent, n’hésitent pas à transgresser la loi pour leur bon plaisir, et surtout accostent ouvertement toutes les dames à leur goût pour satisfaire leur appétit sexuel. En chemin, ils sont rejoints par Marie-Ange, pressée de quitter ses habitudes pour suivre les deux compères dans leur périple.
En avant-propos, on va commencer par faire un pacte: disons-nous la vérité. Le succès du film à l’époque est bien sûr lié à son contenu et son message, mais il ne fait aucun doute que l’abondance de scènes charnelles a su attirer des regards curieux. Aujourd’hui, on ne s’offusque pas, mais pour l’époque, “Les valseuses” était un film franchement osé. Nul doute que les accents “Soft Porn” du long-métrage ont su conquérir les plus coquins.
Le vrai problème en 2020, c’est que nos deux héros sont très entreprenants avec les dames, bien trop. Certes, en 1974, la libération sexuelle règne mais tout de même, des poussées de toxicité masculine ponctuent le film et invitent à s’interroger: les motivations de Pierrot et Jean-Claude ne trahissent-elles pas un mal plus profond?
Grâce à une interprétation formidable, venue d’une époque où Depardieu ne se résumait pas à un simple soûlard, on serait tenté de dire oui. Le trio d’acteurs principaux est fascinant de naturel. Une performance collective qui fait encore référence. On peut lire des traumatismes plus enfouis dans certaines attitudes, certains visages. Le film repose sur eux et ils le portent parfaitement.
« Deux indiens scrutant l’horizon »
Derrière la caméra, Bertrand Blier s’appuie entre autres sur un procédé diablement efficace: Depardieu et Dewaere sont presque toujours dans le cadre, et le plus souvent ensemble. Jusque là du classique, mais en imposant également énormément de mouvement des acteurs, la démarche singulière des deux partenaires nous rappelle presque au temps du noir et blanc un côté Laurel et Hardy.
En plus de la liberté sexuelle affichée très clairement, “Les valseuses” ne va pas s’arrêter là et le film va devenir une véritable ode aux plaisirs libres. Voler une voiture juste pour faire un tour, se tirer sans payer d’un restaurant ou encore racketter un riche docteur: tout cela, le film l’expose avec une sorte de bienveillance un peu étrange mais pas insensée. Il est là le coeur du film, dans cette façon de lâcher les deux héros dans notre société et les observer évoluer.
On est aussi interpellé par le rôle de Jeanne Moreau dans l’histoire, celui d’une tout juste libérée de prison dont les deux lascars vont presque tomber amoureux. Ce personnage est au plus bas de l’échelle sociale et pourtant c’est elle qui a droit au plus de respect. D’une façon générale, plus un personnage est miséreux, plus les deux amis sont bienveillants. Liberté, mais aussi une forme de justice.
Malgré leurs sentiments déviants, Dewaere et Depardieu pourraient presque passer pour des Robins des bois: en dépouillant les riches et en le faisant avec panache et grandiloquence, on s’attache à ses deux hommes en perdition. À long terme, on imagine mal comment leur destin pourrait bien finir, mais le temps du film, on adhère à leur cause.
Le message principal du film se résume pour nous en une phrase: trop de libertés irraisonnées mènent au chaos, mais notre société contraint bien trop ses citoyens et une envie de lutte pour plus de droits gagne le spectateur.
“Les valseuses” est un film qui a mal vieilli dans certaines de ses attitudes, mais son pouvoir pour insuffler une envie de liberté n’a pas changé d’un pouce.