(Turkey Shoot)
1982
Réalisé par: Brian Trenchard-Smith
Avec: Steve Railsback, Olivia Hussey, Michael Craig
Film fourni par Sandrine Hivert pour Rimini Éditions
Loin des USA, presque à l’autre bout du monde, le cinéma bis vit et sait se faire éclatant. Courant des années 1970 et 1980, en Australie, les longs métrages aux styles particuliers, lorgnant volontiers du côté de l’érotisme, de l’horreur, ou encore du fantastique, sont légion. Regroupés sous l’appellation Ozploitation par les historiens du cinéma, ils sont même parfois de véritables mannes financières pour leurs producteurs, à l’instar de Mad Max, souvent assimilé à ce courant. Dans le sillage du monument de George Miller, d’autres cinéastes s’engouffrent dans la brèche, et c’est à peine 3 ans plus tard que Brian Trenchard-Smith, spécialiste du genre, propose à son tour sa vision d’un futur où le monde est en pleine décrépitude, avec Les traqués de l’an 2000. Un projet acide, corrosif, acerbe politiquement, mais surtout particulièrement complexe à mettre en place pour le réalisateur: son regard critique sur la société est perturbé par des coupes budgétaires et des réductions de jour de tournage qui contrarient sa volonté. Pourtant, à en juger par le résultat, désormais disponible en Blu-ray chez Rimini Éditions, et malgré les galères de tournage, son œuvre n’a rien de honteuse, bien au contraire, elle est même jouissive et parfois pertinente, tout en épousant les codes de son époque.
Dans son long métrage, Brian Trenchard-Smith imagine un futur où le pouvoir politique australien est devenu fou et a succombé à des élans totalitaires. Les “déviants”, comme les appelle le film, comprenez par là tous ceux qui ne rentrent pas dans le carcan de l’obéissance servile, sont emprisonnés et violentés dans des pénitenciers où règnent les cruelles punitions, afin de les formater. C’est dans cet environnement que nous plonge Les traqués de l’an 2000, virevoltant de personnage en personnage, dans un certains étalage de torture, en point d’orgue desquelles, une curieuse chasse à l’homme injuste qui oppose détenus et dirigeants des camps de redressement lourdement armés.
Ce jeu cruel dans les terres sauvages environnant le pénitencier est même le cœur du film, celui sur lequel repose à la fois son message de fond, mais aussi le plaisir primaire du spectateur. Tout le concept des Traqués de l’an 2000 fait assurément penser au Battle Royale de Kinji Fukasaku mais peut être davantage aux Chasses du comte Zaroff de Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel. On y retrouve à la fois le ludisme pervers de la chasse à l’homme injuste, couplé à l’opposition des classes dirigeantes et des opprimés. Le long métrage en devient incandescent, captivant de par son action et son suspense, mais dans le même temps frondeur envers une société à la dérive qu’il dénonce. Les erreurs ne manquent certes pas, et le réalisateur lui-même déplore une forme de contrainte dans sa volonté artistique, toujours est-il qu’il peut se reposer sur un schéma narratif encore très en vogue aujourd’hui, au cinéma ou dans le jeu vidéo.
Le plaisir pervers du spectateur s’épanouit aussi à la vision des infernales mises à mort qu’étale Les Traqués de l’an 2000. Parler de film gore est presque réducteur pour une telle proposition qui joue constamment la carte de la surenchère. Ici un œil crevé, là une immolation, ou bien encore une machette fermement plantée dans le crâne d’un antagoniste… Brian Trenchard-Smith assume son humour noir et la dimension presque burlesque de son film dans les bonus du Blu-ray. Tout est bon pour captiver l’attention du public venu se repaître d’un diner sanglant, et la promesse d’un long métrage confinant parfois au Slasher est tenue. Pourtant, que serait un squelette narratif solide et un enrobage aguicheur sans une idée sous-jacente qui apporte du fond ?
L’Ozploitation s’est souvent contentée de visuels violents, Brian Trenchard-Smith y ajoute de la substance. Bien que contrarié dans sa volonté (les premières minutes du film censées représenter l’effondrement de la société australienne ne sont au final qu’un simple générique, contre l’ambition du cinéaste), le réalisateur parvient tout de même à sauvegarder une partie de son message politique, implicitement. En posant son regard sur trois protagonistes différents, il montre trois dérives différentes à travers les raisons de leur incarcération: le premier est un libre penseur qui perturbe le pouvoir, la seconde une femme victime de dénonciations calomnieuses, la dernière une timide jeune fille simplement présente au mauvais endroit, au mauvais moment. La répression est aveugle, elle n’obéit à aucune logique, une idée omniprésente dans le film, presque anarchiste.
Encore plus loin dans le brûlot politique, Brian Trenchard-Smith confère une série d’attributs étonnants aux dirigeants du camp et aux riches personnages venus participer à la traque. Est-ce un hasard si l’uniforme des chefs du pénitencier possède un col évoquant presque des hommes d’église ? Ou si un antagoniste est vêtu dans un style de noble anglo saxon ? Ou encore si l’un d’eux pilote une sorte de bulldozer, comme un magnat du bâtiment ? Assurément pas, et si le public n’est pas convaincu, le nom du plus répugnant des tortionnaires est suffisamment évocateur: Thatcher. En 1982, alors que l’Angleterre a pour première ministre une femme d’un nom similaire, tristement célèbre pour sa fermeté en matière d’économie, cela ne peux pas être le fruit d’un concours de circonstances. Le patronyme parle à tous, y compris en Australie.
Même la sexualité, presque un impératif du genre, n’est jamais innocente, et assurément pas affriolante. Preuve de la volonté d’en faire un axe narratif plutôt qu’un simple appât à spectateur, Brian Trenchard-Smith insiste pour que les scènes de nu comprennent femmes et hommes, une originalité pour l’époque, comme pour mettre tout le monde sur un pied d’égalité. Mais c’est surtout dans sa suggestion que Les traqués de l’an 2000 devient volontairement dérangeant: le viol ou encore la castration sont évoqués avec une certaine emphase, et la négation du corps est omniprésente. Les dialogues y font écho, au moment où les puissants s’arment pour la chasse et où au cours d’un échange sur le calibre d’une arme, une antagoniste dit que “Ce n’est pas la taille qui compte, mais la manière de s’en servir”. Le corps est la cible, le sexe une arme.
Les Traqués de l’an 2000 est donc un long métrage glauque, malgré ses élans parfois comiques, mais il n’est pas sans solution. Comme pour ponctuer efficacement sa dénonciation, Brian Trenchard-Smith tente d’apporter une réponse aux dilemmes de son œuvre. Cette réponse réside dans l’union des opprimés, dans la révolte légitime face aux ogres totalitaires. Résister coûte que coûte, même au prix du sacrifice ultime, est une nécessité, le devoir de tout citoyen cherchant à conserver sa liberté. Tout en restant léger, Brian Trenchard-Smith communique son âme révolutionnaire.
On aurait aimé voir Brian Trenchard-Smith aller au bout de ses ambitions dans Les Traqués de l’an 2000, mais le cinéaste réussit admirablement à insuffler suffisamment de ludisme et d’acidité à son film pour en faire un moment tout à fait distrayant, dans sa catégorie.
Les Traqués de l’an 2000 est a retrouver chez Rimini Éditions dans un coffret comprenant:
– Un livret de 20 pages de Marc Toullec
– Des interviews des comédiens
– Une interview du réalisateur
– Une pastille sur la renaissance du cinéma de genre australien