1935
réalisé par: Jean Renoir
avec: Charles Blavette, Celia Montalván, Jenny Hélia
L’image n’est pas toujours le plus important en cinéma, il arrive qu’en quelques lettres le voyage débute. Avant même le premier paysage, trois mots vont ouvrir “Toni” sur lequel on s’attarde aujourd’hui: “Studio Marcel Pagnol”. Pan! Immédiatement, on est transporté dans le sud, au pays des cigales et de la mer azur. Lorsqu’en plus, le nom du réalisateur Jean Renoir apparaît, ce n’est plus un périple mais une véritable promesse qui est faite au spectateur. C’est aussi ça l’univers du cinéma, on s’attache à des gens et on les laisse nous emmener loin, jusque dans la Provence en l’occurrence. Bonne nouvelle, le pacte ne sera pas rompu et l’aventure peut débuter.
« Toni”, c’est le nom d’un migrant italien (Charles Blavette) qui débarque dans le sud de la France pour y chercher du travail. Sur place, il va trouver le gîte et le couvert chez Marie (Jenny Hélia) qui va s’amouracher de lui. Mais Toni s’éprend lui de Josepha (Celia Montalvan), une espagnole de souche. Mais cette idylle va être contrariée par le terrible Albert (Max Dalban), le contremaître de la carrière où trime Toni.
Immédiatement, ce sont nos oreilles qui sont flattées. Impossible de passer outre le doux accent du sud et ses intonations si mélodieuses. Sur cet aspect, c’est presque un périple auditif que nous offre Renoir, le voyage dans les terres de Provence commence avant tout par le plaisir de l’ouïe et on se rappelle tout de suite les oeuvres de Marcel Pagnol dont “Toni” aurait bien pu faire partie.
Mais tout n’est pas rose dans “Toni”, bien au contraire, c’est plutôt un drame qui prend place. Pour le retranscrire, Renoir va jouer du petit village propice aux ragots les plus cruels. “Au village sans prétention, j’ai mauvaise réputation” chantait Brassens, et on y est totalement dans ce microcosme parfois oppressant. D’autant plus que Renoir va utiliser de nombreux figurants qui vont et viennent, qui jouent de la musique, qui rigolent… Des anonymes qui attestent d’une part du mélange culturel mais aussi d’une autre de la promiscuité qui règne.
Alors au coeur de l’intrigue, il y a une opposition entre mariage de raison et amour passionnel. Si le contremaître s’immisce dans l’amourette entre Toni et Josepha, c’est grâce à son statut social. Toute cette dualité à la limite entre sentiment et opportunisme donne au film une stature imposante qui peut jouer de ses multiples symboliques.
« On montre pas du doigt, gros malpoli! »
En opposant français de souche et immigrants, le film synthétise un rapport de force disproportionné. Chaque personnage devient une métaphore plus profonde d’un état d’esprit de l’époque. On pense notamment au travail, où migrants triment sans cesse pour un salaire de misère sous la supervision d’un personnage français qui les tyrannise. Sans le dire ouvertement, Renoir expose un problème qui n’a pas vraiment vieilli.
Le film symbolise aussi l’envie de ses migrants de rester accrochés à leurs racines mais sans pour autant être ingrats. Ils ont fui la pauvreté de leur pays mais ils n’oublient pas l’affection qu’ils ont pour leurs patries. C’est un sentiment compliqué à expliquer aux français qui n’ont jamais connu ce problème et dont les plus fermés voient l’immigration comme une menace plutôt que comme une opportunité. Renoir réussit parfaitement à faire digérer cette idée.
La pauvre Marie par exemple fait les frais de l’amour de Toni pour Josepha mais ne lui en tient pas rigueur. En évoquant le rêve de Toni de travailler dans les vignes, on synthétise intelligemment l’envie du héros de l’histoire d’épouser ce nouveau pays à travers l’un des symboles de notre patrie: le vin. Tout est réfléchi, rien n’est hasardeux.
Mais peut-être que l’idée qui a le moins vieilli dans le film est aussi la plus discrète. Au début de l’œuvre, deux travailleurs migrants s’affairent autour d’une voie de chemin de fer. En voyant les wagons remplis d’italiens, dont Toni, ils pestent contre ces nouveaux venus alors qu’ils ont connu eux aussi cet exil. Cette façon pour les migrants de se montrer parfois plus racistes que les français de souche les plus réfractaires (et non Réfracteurs) existe encore aujourd’hui, surtout lorsque la couleur de la peau ou l’accent de ces personnes déracinées dérangent ceux qui n’ont aucune curiosité.
La grammaire cinématographique de Renoir se veut assez simple dans “Toni” mais c’est pour mieux ponctuer son récit. Les arrière-plans par exemple se transforment en élément de narration: un bout de la carrière qu’on dynamite et c’est la discorde qu’on représente, la pluie qui tombe laisse apparaître la tristesse, et encore plus subtilement, un coup de tonnerre annonce un drame à venir. Avec autant de subtilité, le cinéaste va imposer des plans relativement fixes pour mieux utiliser le zoom à la fin du film, appuyant ainsi une conclusion étouffante avec brio.
“Toni” est sorti en 1935 et pourtant rien ne semble avoir changé. Les mentalités doivent enfin évoluer et le cinéma de Renoir permet à son échelle d’amorcer cette réflexion.