2021
Réalisé par: Wes Anderson
Avec: Bill Murray, Benicio del Toro, Frances McDormand
Après 14 mois de report dû à la pandémie, The French Dispatch, le dixième film de Wes Anderson, illumine les salles obscures françaises depuis le 27 octobre dernier. Après une décennie marquée par une plongée de plus en plus profonde aux extrémités de son style, le texan semble tendre un débat où fidèles défenseurs et ardents détracteurs quant à ses choix artistiques, et les supports publicitaires de The French Dispatch ne semblent pas pousser à l’accalmie. Wes Anderson est-il ainsi devenu la parodie de lui-même ?
Cadres symétriques, couleurs pastels et timbres chaleureux des cuivres de Desplat ; écartons d’entrée un poncif : oui, The French Dispatch s’inscrit bien dans l’arc artistique de Wes Anderson entamé il y a 9 ans avec Moonrise Kingdom. Au plaisir des uns et au déplaisir des autres, son récit fragmenté est l’occasion pour le metteur en scène d’offrir quelques pirouettes plus ou moins anecdotiques dans les thématiques qui lui sont chers : éloge au bon goût, liberté de la jeunesse, et bien d’autres encore. Le choix plus qu’assumé de croiser cela à un hommage appuyé à la France est loin d’être anodin : amoureux de l’Hexagone, le style Wes Anderson rappelle la douceur nostalgique qui entoure l’époque soixante-huitarde (au cœur justement du film). C’est peut-être l’intérêt premier de l’oeuvre : jusqu’au-boutiste dans son approche, The French Dispatch n’est pas une nouvelle variation narrative ; il faut plus aller chercher du côté de l’auto-critique, d’une propre analyse de style où Anderson éprouve ses mouvements pour questionner au plus profond leurs intérêts.
Dès lors, The French Dispatch n’est plus vraiment un film, mais un exercice méta ; Wes Anderson n’est plus un cinéaste, mais un de ces esthètes cherchant plus loin dans leurs codes, plus loin que les codes. Oui, n’ayons pas peur des mots : The French Dispatch est le manifeste des intentions de son auteur. Prêt à mourir avec ses idées, Wes fait de Arthur Howitzer Jr., le personnage de Bill Murray, son acteur fétiche (pas un hasard) son alter-ego pour dicter un univers qu’il façonne à ses obsessions dans chaque segment : l’amour des détails, les limites de la folie créatrice, la fin de la jeunesse et l’action du quotidien, nous donnant parfois la sensation d’écrire sa propre nécrologie. Autour de cette figure centrale qui brille par sa relative absence, flottent des personnages et des acteurs que l’auteur prend un malin plaisir à remodeler à son image (une des forces du cinéma de Wes Anderson), déconstruisant nos codes psychologiques pour façonner des tableaux à son image. Les ponts ne cessent de se créer, au gré des détails, entre l’univers d’un cinéaste mainte fois référencé ici et les personnages qui prennent vie devant nous.
Nul doute dès lors que les fans de l’artiste prendront un plaisir non dissimulé à naviguer spirituellement dans un objet construit (en partie) pour eux, qui tendrait presque à nous faire penser qu’il n’a que cette ambition. Est-ce que pour autant The French Dispatch est raté ? S’il est difficile de négativer en bloc tous les arguments minimisant le film (il est vrai qu’il ne semble pas être un Wes Anderson majeur), force est néanmoins de constater que l’œuvre est spirituellement riche. Peut-être car, oui, Wes Anderson n’est plus vraiment un cinéaste ; The French Dispatch semble parfois flirter avec la poésie, où ni la forme ni le fond ne semble intéresser le cinéaste, mais bien l’intention. The French Dispatch a ce parti-pris “extrême” de pouvoir être vu, mais d’avoir avant tout été construit pour être vécu. Une ode à la vie, oui, à la sauce Wes Anderson, évidemment, qui semble faire office de profession de foi ; si certains peuvent y voir le crépuscule de son auteur, je prends le pari d’y voir la métaphore du phénix, prêt à renaître de ses cendres. Aussi mineur et imparfait soit-il, il plane sur The French Dispatch une odeur de fin de cycle, comme si Anderson se baladait dans ses souvenirs comme pour mieux entamer un nouveau chapitre. Si l’on ne sait rien ou presque sur Asteroid City, son prochain long-métrage, il est à parier que celui-ci nous éclairera un peu plus sur ce à quoi devrait ressembler le prochain segment du texan. The French Dispatch n’est peut-être pas la douceur candide pour fans qu’il semble être aux premiers abords ; il y règne ce sentiment d’œuvre-bilan, de dernier film idoine, de testament intime, comme pour mieux boucler une boucle fructueuse à tous les points. Le roi est mort, vive le roi ; le geste peut sembler répétitif voire parodique, mais il semble relever du travail d’introspection, ou la poésie de son auteur offre la dernière de ce mouvement, et nous invite avec bonheur à une prochaine symphonie.