1979
de: Andrei Tarkovsky
avec: Alisa Freyndlikh, Aleksandr Kaydanovskiy, Anatoliy Solonitsyn
Chaque mercredi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Stalker” d’Andrei Tarkovsky.
Nouveau Tastr Time, nouveaux horizons, mais toujours du classique à se mettre joyeusement sous la dent avec “Stalker” d’Andrei Tarkovsky. C’est même un véritable monument du septième art, étudié encore chaque année en école de cinéma. Un film et un cinéaste adulé par des cohortes de cinéphiles mais aussi une oeuvre assez difficile d’accès: d’une part parce qu’elle repose sur une grammaire différente et sur des codes du cinéma russe assez éloignés des nôtres. D’autre part car elle est extrêmement dense mais dans une démarche de véritable essai cinématographique, purement élitiste. Les Réfracteurs ne sont peut-être pas des conférenciers émérites, mais ils ne se débalonnent pas non plus et vous livrent quelques réflexions autour de “Stalker”.
Rien que l’histoire, on va en chier à la résumer, mais si par hasard vous avez vu “Annihilation”, le pitch devrait vous rappeler quelques souvenirs. Il existe une zone, de quelques kilomètres carrés, au sein de laquelle les lois de l’espace-temps sont perturbées. La topographie est changeante, le temps s’écoule sur un rythme étrange et “la zone” prend au piège ceux qui s’y aventurent. Au centre de celle-ci, une pièce dans laquelle les souhaits se réalisent d’après la rumeur. Trois compagnons d’infortune: un scientifique, un écrivain et un passeur (“Stalker”) qu’ils ont engagé vont s’aventurer dans ce lieu mystérieux.
Avant d’aborder Tarkovski, il faut bien comprendre que c’est le même jeu visuel qu’on évoquait au cours d’un autre Tastr Time en parlant de Kurosawa. Rien, absolument rien n’est innocent: composition des plans, mouvements (minimalistes) de la caméra, couleurs et lumières… Tout est pensé, réfléchi, raffiné à l’extrême pour obtenir un résultat calculé. Les deux cinéastes de génie partagent la même science du septième art.
On peut donc évoquer au plus évident le contraste qu’affirme “Stalker”, entre ruines de béton et nature qui reprend ses droits. Toutes ces décombres qu’arpente le morne trio sont autant physiques que moraux: ils renvoient au sujet de l’oeuvre, l’oscillation d’un homme entre le dogme scientifique et artistique, mais il est aussi impossible de ne pas voir dans le film de Tarkovski une évocation du drame de Tchernobyl.
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Mais le coeur du film, c’est le Stalker lui-même, ou plutôt la manière dont il va se rallier à un autre protagoniste, ou non. Réfléchir à “Stalker” c’est réfléchir notre rapport à la réalité. Sommes-nous plutôt des pragmatiques, adeptes de mesures en tout genre pour expliquer l’inexplicable? Ou sommes-nous plutôt des rêveurs, qui cherchent des réponses aux mystères de la vie à travers l’introspection? Et une fois face à une situation totalement incompréhensible, vers quelle dogme allons-nous nous réfugier?
Et vlan, on vous a pété le cerveau! Ben ouais, désolé mais là on cause de choses pointues. Tarkovsky, qu’on aime ou non les codes du cinéma russe, est un vrai philosophe. Et comme beaucoup de ses pairs, il passe par un aspect verbeux très poussé. De longues scènes, au débit de dialogue plutôt lent, et où chaque mot compte: voilà le pacte que l’on doit tisser avec lui. Mais il faut véritablement le vouloir, aller vers un vrai travail intérieur et ça, on est pas convaincu qu’un public non-cinéphile y consente.
Détaillons donc ces deux écoles de vie différentes et tout aussi néfastes l’une que l’autre une fois mises à nu. D’un côté le scientifique, véritable pragmatique qui ne s’émerveille plus de rien. À force de mesures, il s’est perdu dans un monde totalement manichéen. Il voit les choses d’une manière binaire, et lorsque ses études ne suffisent plus à expliquer, il est prêt à tout faire exploser pour disséquer à nouveau, ou faire disparaître les traces de son échec.
À l’opposé, le principe artistique. Tarkovsky partage forcément plus d’affinité avec celui-ci, mais il ne l’épargne pas pour autant. La quête de l’artiste, il l’affirme comme un geste presque égoïste, une condescendance malsaine même. Pour lui, on ne crée pas pour les autres mais pour se flatter, l’art est égoïste.
Puis pris entres ces deux chemins de vie, nous, les autres, tiraillés entre ces deux colosses aux pieds d’argile. On ne cherche même plus qui a raison, simplement qui présente le mieux et ce sont nous qui serons les premiers à payer le prix de leur folie.
C’est un véritable monument du cinéma, une pièce de collection mais à réserver aux plus éclairés. “Stalker” est presque un cousin intello du “Magicien d’Oz”, mais rien ne garantit autre chose que de la fatalité au bout du chemin.