(How Green Was My Valley)
1941
réalisé par: John Ford
avec: Roddy McDowall, Walter Pidgeon, Maureen O’Hara
Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Qu’elle était verte ma vallée” de John Ford.
Si bien souvent on se complaît nous-mêmes dans des séances cinéma sans espérer autre chose qu’un moment de détente, certains films élèvent leur propos, poussent à la réflexion. On a tous au moins un ou plusieurs longs métrages qui nous ont éduqué, nous ont aidé à passer une étape dans notre vie, nous ont fait grandir. “Qu’elle était verte ma vallée” est de cette trempe, aussi savoureux pour le jeune public qui forme son regard que pour les anciens. En proposant au rythme de ses scénettes de découvrir la vie d’un village de mineurs gallois, l’œuvre de John Ford esquisse une philosophie de vie bien particulière dont le tout jeune Huw (Roddy McDowall) est le principal dépositaire.
Mais ne vous y trompez pas: “Qu’elle était verte ma vallée” n’est pas que le simple portrait d’un enfant qui s’ouvre au monde. John Ford va en fait varier les personnages principaux au fil des rebondissements, se limitant à la famille de Huw mais en réussissant tout de même à établir l’esprit d’unité qui existe entre tous les mineurs du village. Il y a dans le long-métrage quelque chose de doux et de réconfortant à voir ce hameau réagir comme une seule personne selon les péripéties. Bien sûr, il existe des divisions mais John Ford semble sans cesse revenir à cet esprit de groupe en proposant notamment de grandes scènes chorales presque felliniesques.
En se plaçant dans le monde dur de la mine, “Qu’elle était verte ma vallée” prend par moment des allures politiques, mais complètement à rebours des courants de pensée dominants à l’époque sur les grosses productions cinématographiques. Dans une installation qui rappelle “Germinal”, John Ford appuie sur les valeurs humaines d’entraide et de partage. Le cinéaste est proche du peuple, défie l’autorité et les patrons, évoque la constitution d’un syndicat… L’œuvre nous aide à remettre la quête de l’argent à sa place et à considérer la vie comme un bien davantage précieux.
Cette échelle sociale va tout de même être décrite sans faux semblants, ni complaisance. Les héros de “Qu’elle était verte ma vallée” n’ont rien d’extraordinaire, ils sont des êtres comme vous et nous, avec leurs défauts. La défiance qui existe entre l’élite et le bas peuple est totale et celui qui franchit la barrière est dénigré sans ménagement. Mais invariablement, John Ford va trouver un élément neuf pour faire surgir du positif de son récit, avancer avec une grande bienveillance les qualités fondamentales des gens humbles sans pour autant les embellir à l’excès.
« Oui alors là, c’est pas très vert, d’accord… »
Ce mélange des opinions sans facilité, alliant les forces et faiblesses du monde que le film dépeint, va planer sur l’œuvre d’un bout à l’autre et chaque institution va passer au crible. Prenons pour exemple l’école qui, loin d’unir les enfants, ne fait en fait que les stigmatiser. Le jeune Huw est pointé du doigt pour ses origines modestes: John Ford reconnaît la mission vitale de l’instruction mais met en accusation son application. C’est presque comme si le film nous prenait par la main pour justement nous apprendre tout ce que l’école ne nous enseigne pas.
Mais l’exemple le plus criant de cette volonté de critique complète reste la vision de l’Église que nous propose John Ford. Là aussi, le réalisateur est à contre-courant de son époque et n’hésite pas une seule seconde à dépeindre un clergé donneur de leçons et froid dans sa hiérarchie. Pourtant, dans le même temps, le cinéaste propose le personnage du pasteur Gruffydd (Walter Pidgeon), une des figures paternelles bienveillantes du film. L’organisation cléricale est dénigrée mais Ford apporte sa réponse au problème: la religion n’est pas un dogme immuable, mais plutôt un accompagnement dans la vie quotidienne, un courant qui nous pousse vers les bons choix tout en nous laissant notre libre arbitre.
En utilisant un enfant pour personnage principal, John Ford nous met à la place de l’élève dans cette leçon de vie. Avec un tel référent, on est toujours prêts à assimiler une nouvelle idée mais le réalisateur ne va pas s’arrêter là: chacun de ses personnages adultes transpire le charisme. Les mineurs à la lourde charpente ou le pasteur Gruffydd et sa taille imposante semblent avaler les décors du film pour éclabousser l’écran de leur présence. Une mécanique implicite qui marche à merveille.
Au rayon des éléments visuels intéressants, il y a aussi la volonté de mélanger la terre et les hommes. Les travailleurs reviennent le visage marqué de la mine, leur labeur au fond de leur trou apparaît harassant. Contrairement à ce que laisse entendre le titre du film, c’est en fait davantage le noir du charbon que le vert des pâturages que propose John Ford, ce que décrit le titre n’est finalement que métaphorique, une image de la vie qui bouillonne dans ce village.
Puis enfin au plus large, Ford va évoquer ceux qui partent, pour un autre monde ou pour d’autres cieux, et ceux qui restent. Il y a beaucoup de mouvements dans cette famille galloise typique, les liens d’aujourd’hui ne sont pas garantis demain. C’est avec un mélange ingénieux de tristesse, d’humour et d’amour que le réalisateur donne son identité au long-métrage, en fait un croquis astucieux de la vie.
Plein de petites leçons de vie, toujours intéressantes, planent sur “Qu’elle était verte ma vallée” et font du film un véritable bijou qui dépasse les âges.