1962
de: André Hunebelle
avec: Jean Marais, Jill Haworth, Pierre Mondy
Connaissez-vous André Hunebelle? Pour être tout à fait franc, jusqu’à hier, nous non plus. Hasard de nos errances cinématographiques, nous allons aujourd’hui évoquer ensemble “Les mystères de Paris” sorti en 1962. Un film d’aventure au relent de drame social qui peut se targuer d’avoir quelques noms célèbres à son casting, Jean Marais en tête. Mais là où nos cerveaux ont définitivement explosé, c’est lorsque nous avons épluché sa filmographie, et constaté que le cinéaste est aussi le réalisateur des “OSS 117” (les originaux bien sûr), Fantômas, et même quelques films des Charlots. Au-delà de cette petite anecdote qui prête à sourire, son long-métrage, “Les mystères de Paris” embrasse un registre totalement différent. Montons ensemble dans notre DeLorean et réfractons!
Tiré du roman éponyme de Eugène Sue, paru en 1842, le film nous narre les aventures de Rodolphe de Sombreuil (Jean Marais à l’écran), membre émérite de la haute bourgeoisie parisienne qui un soir, par accident, renverse en calèche un homme pauvre. Ce dernier finira par décéder de ses blessures, et notre héros va alors se déguiser en homme du “petit peuple” afin de retrouver, et dédommager la fille du défunt, Marie, dans l’intention de faire amende honorable. Ému par la demoiselle et la misère des gens simples, il va progressivement adopter cette nouvelle identité, poursuivant son pieu mensonge.
Le premier choc est visuel: les cinéphiles curieux reconnaîtront immédiatement un rendu caractéristique de l’époque. Déjà dans les couleurs et le grain de l’image hérités des pellicules de l’époque, qu’on retrouve avec tendresse. Mais également dans les costumes des gens aisés, finement travaillés, et enfin (et surtout), dans les décors un peu vieillis fatalement, mais qui restent efficaces. C’est l’héritage d’un âge d’or du cinéma français aujourd’hui révolu que porte “Les mystères de Paris”.
La preuve ultime de ce sentiment nostalgique est probablement la scène de l’accident. On reconnaît ce procédé de réalisation de l’époque qui consiste à projeter derrière les protagonistes un décor qui défile, pour donner l’impression que la calèche est lancée à vive allure alors qu’elle est immobile. Un peu grotesque aujourd’hui, et bien loin d’un “Fast & Furious” évidemment, mais c’est aussi ça le jeu de la cinéphilie: contextualiser comme nous l’évoquions dans notre critique de “Madame de…”.
Dans sa thématique, “Les mystères de Paris” joue aussi sur le contraste social: alors que la haute société s’inquiète de choses futiles, les pauvres eux, redoutent la mort que leur terrible misère semble leur promettre. On ressent même à certains moments des sensations prochent des “Misérables” de Victor Hugo. Le lieu, Paris, y est sûrement pour beaucoup, mais on va malheureusement rapidement s’apercevoir que l’on est bien loin du chef-d’oeuvre littéraire.
« les décors sont de Roger Harth et les costumes de Donald Cardwell »
À bien des égards, “Les mystères de Paris” peut être considéré comme un film d’aventure, voire d’action, d’époque. Quelques bagarres disséminées ça-et-là en attestent, mais aussi la construction des personnages. Jean Marais se retrouve rapidement propulsé en super-héros du petit Paris, et tous les personnages secondaires semblent très marqués. Beaucoup trop même: l’antagoniste principal, le Baron de Lansignac (Raymond Pellegrin) qui a juré la ruine de notre héros semble incarner un mal absolu, caricatural au possible. D’une manière générale, et même s’il existe quelques contre-exemples, le film bascule dans le manichéisme, opposant gentils pauvres au grand coeur, et riches bourgeois méprisants.
Quasiment tous les personnages passent par ce filtre grossier: Pierre Mondy par exemple, en sidekick de Jean Marais, est d’une bonté qui tourne à la naïveté totale, tandis qu’Irène, la fiancée de notre héros avant que celui-çi ne s’éprenne de la belle Marie, représente la cupidité la plus totale. André Hunebelle en fait beaucoup trop dans la psychée des personnages, et on comprend rapidement qu’il ne faudra pas attendre de grandes réflexions de ce film.
Cette réalisation bancale, on la constate aussi dans le montage et le découpage des “Mystères de Paris”. La rythmique est mauvaise, disons-le clairement, alternant longueurs indigestes et raccourcis scénaristiques bien malvenus. Si on a coutume de dire que le monde est petit, ce Paris semble microscopique.
Tout cela gêne effroyablement le sous-texte social du film. Bien dommage, car les dialogues sont eux excellents. Ils regorgent de citations sympathiques et au détour d’une phrase, on sent que l’histoire pourrait gagner en profondeur, avant de retomber malencontreusement dans ses travers. Il était tout à fait possible de faire un film d’aventure, avec un vrai fond de réflexion, mais André Hunebelle en semble incapable. L’univers proposé par son long-métrage est bien trop mal installé pour élever le niveau du récit.
Pour comprendre les écueils du film, il faut le replacer dans son contexte, et l’époque de sa sortie: 1962. Un genre cinématographique est alors en plein essor, le Western. En opposant “Les mystères de Paris” et les films sur l’ouest américain, on comprend l’envie de André Hunebelle: proposer d’adapter les succès venus d’outre-atlantique “à la française”.
Et alors tout s’explique, même si rien ne s’excuse. Déjà le contexte historique du récit, qui correspond à peu de choses près à l’époque de la conquête du grand ouest américain. On comprend un peu mieux aussi, cette volonté d’affirmer des personnages très tranchés, même s’il faut reconnaître qu’ils sont extrêmement mal introduits. Mais c’est surtout dans la réalisation qu’on reconnaît les stigmates de l’époque. Pierre Mondy, une arme à feu dans chaque main, et c’est l’image d’un cowboy qu’on renvoie. La belle Marie qui pousse la chansonnette et on se remémore les vieux western qui accueillaient bien souvent des chanteurs populaires et leur offraient leur petite minute musicale (Elvis Presley en tête). Un antagoniste, corde au cou, près à être pendu, et c’est tout l’ouest sauvage américain qui nous revient en tête. Jean Marais nous apparaît alors dans ce long-métrage comme une émulation ratée de John Wayne. À coup sûr la volonté est là, mais le film rate son coup, à trop vouloir en faire.
“Les mystères de Paris” c’est ce film qu’on regarde le dimanche après-midi avec mamie. On se contraint pour lui faire plaisir, et parce que dans l’absolu le film n’est pas ennuyant, même s’il est fondamentalement raté.