2020
Réalisé par: Aurel
Avec: Sergi López, Emmanuel Vottero, Bruno Solo
Derrière les mots encrés en noir et blanc des livres d’Histoire se cache souvent une réalité plus nuancée. La race humaine est ainsi faite: les dénouements de nos luttes sont souvent écrits par les vainqueurs, parfois au mépris de l’exactitude factuelle. On glorifie les belligérants sanguinaires et les faits d’armes les plus vils en les érigeant en gloires nationales comme pour célébrer l’atroce, pour se convaincre à tort du bien fondé de nos instincts primaires qui nous avaient poussés au combat. Mais si on ne peut se fier entièrement aux dogmes que nous ont légué nos ancêtres, où trouver la vérité? Comment faire la lumière sur une période trouble sans se soucier de cette vision biaisée de notre passé?
C’est à travers le parcours de l’artiste Josep Bartoli, un célèbre dessinateur qui a bel et bien existé et qui a connu l’horreur des camps d’internement français dédiés aux ressortissants espagnols qui fuyaient Franco à la fin des années 30, que le cinéaste Aurel va tracer sa réponse. En éprouvant les abominables sévices que subissent l’artiste et ses compatriotes, on assimile toute la puissance contenue dans un élan créatif en même temps que la lumière est faite sur une partie sombre de notre Histoire.
C’est presque comme un contre pouvoir que nous apparaît l’art dans “Josep”. Aux puissants, lorsqu’ils ne sont pas dictateurs, les décisions politiques anodines ou lourdes de conséquences, mais à l’artiste la vérité du terrain, de l’individu. Alors que l’Europe se transforme en champ de guerre géant et que les troubles venus de toutes parts assaillent la France, Josep donne la parole aux anonymes. Il y a une vraie réflexion derrière le besoin de créer dans le film d’animation d’Aurel, une question qui en appelle des dizaines d’autres: pourquoi l’art? Pourquoi se saisir d’une plume, d’un crayon ou utiliser sa simple voix? Qui sont les créateurs? Qu’est-ce qui motive leur décision? La réponse d’Aurel est militante et naturelle: que ce soit Josep Bartoli à travers ses dessins ou le réalisateur avec son film, l’art est un geste de résistance, un témoignage parfois sans mots mais capital.
« Pause clope »
Un héritage essentiel lorsqu’on constate tristement à notre époque que l’existence de ces camps, purs produits de la France avant l’occupation, sont aujourd’hui presque tombés dans l’oubli. On aurait tôt fait de croire à notre époque à une vision manichéenne du milieu du 20ème siècle où les affreux de l’axe affrontent les gentils alliés. Non, la réalité est bien plus complexe, les salauds se cachent partout, y compris chez nous, et parfois dans des uniformes qui leur confèrent une certaine impunité. “Josep” n’a rien d’un cours d’Histoire et pourtant, il transmet des informations cruciales qui resteront gravées. Cette violence physique et morale du quotidien d’hommes et de femmes qui ont déjà tout perdu et qui ne sont plus que des corps décharnés, impossible de l’oublier.
Tout n’est pas parfait pour autant et on émettra sans doute quelques réserves sur certains personnages trop marqués, moins bien écrits que d’autres car sans doute trop condensés, mais c’est avec beaucoup de facilité qu’Aurel tisse un lien entre les générations. Dans les exactions de l’époque, on voit planer le spectre de l’actualité et des camps de rétention insalubres qui existent encore. Plus fort, l’âme de résistance qui habite les personnages les plus téméraires semble également se transmettre. On rapproche Josep de jeunes de notre époque qui s’indignent des injustices du monde: il règne une certaine forme d’optimisme dans cette portion du récit qui semble en appeler à l’espoir.
Retracer une partie de la vie d’un dessinateur à travers un film d’animation relève souvent du défi, et même si on peut s’appuyer sur certains travaux de Josep Bartoli, Aurel doit faire preuve d’originalité pour exister. C’est dans cette démarche et dans une volonté de sens que le cinéaste va opposer deux visions de l’époque. La plus discrète est celle de l’extérieur des camps, où les Français sont encore insouciants. À travers les images et les couleurs semble se dégager une certaine chaleur qui contraste avec les traits secs et anguleux des prisonniers. Souvent représentés en noir et blanc, ces protagonistes semblent avoir perdu leur humanité avec la pigmentation de leurs vêtements, de simples esquisses. Une belle idée appuyée par le mouvement de l’animation: fluide à l’extérieur mais saccadée à l’intérieur, presque un simple assemblement de fondus. De quoi conférer une certaine stature à la proposition d’Aurel: son film est grave, sans compromis, indispensable. Cette opposition va être synthétisée dans de très belles scènes où d’un côté des barbelés, un enfant joue avec son chien sous le regard des enfants prisonniers du camp.
Plus discrètement, c’est également la musique du film qui va venir donner une teinte particulière à chaque scène. À travers les complaintes espagnoles de ces déracinés se vit le film, s’ouvrent les émotions dans l’un des tous meilleurs films d’animation français récents. Un bouillonnement culturel qui nous rappelle également que nous sommes tous des enfants de migrants, de première, deuxième ou trentième génération et que nos différences sont une source d’enrichissement.
Capital car il éclaire une période sombre de notre Histoire, “Josep” ne se contente pas de cette simple mission et réfléchit avec une belle intelligence au sens de la démarche artistique.