Au-delà du réel

(Altered States)

1980

réalisé par: Ken Russell

avec: William HurtBlair BrownBob Balaban

Aujourd’hui, Les Réfracteurs vous embarquent pour un voyage qui dépasse l’entendement en faisant cap vers “Au-delà du réel” de Ken Russell. Un long-métrage qui va repousser les limites du perceptible pour nous emmener vers une réflexion complexe sur l’origine de la vie dans un mariage de scènes hypnotiques et de grammaire de film d’horreur. C’est dans un cadre scientifique que prend place l’intrigue: le docteur Jessup (William Hurt) est un psycho-physiologiste qui expérimente sur lui-même la privation des sens dans des caissons spécialement conçus. Il rentre ainsi dans une transe méditative totale qu’il espère être la clé du mystère de l’origine de l’Homme. Lorsqu’à la suite d’un voyage au Mexique, il découvre un étrange champignon au cœur de rituels anciens, il va additionner cet élément au reste de son protocole pour multiplier les effets de ses hallucinations. Mais rapidement, Jessup va perdre le contrôle et son corps va subir des modifications affreuses, comme s’il régressait à un stade plus primaire.

L’origine du monde

On sent bien qu’avec cette introduction et ce résumé un peu complexe, on a déjà perdu quelques lecteurs. On s’en excuse mais il est franchement complexe de résumer “Au-delà du réel” tant le film va venir chatouiller des concepts scientifiques et philosophiques pointus. Le film lui-même passe par des instants conséquents de bouillie métaphysique totale qui auront vite fait d’égarer les moins téméraires. Pourtant, il y a dans la quête de vérité du docteur Jessup quelques éléments assez concrets auxquels se raccrocher.

La structure scénaristique du long-métrage se rapproche ainsi assez clairement du mythe de Faust (que le film va évoquer clairement): un homme assoiffé de savoir et qui se consume dans sa recherche. Jessup repousse les limites de ce qu’on peut infliger à son propre corps pour aller toujours plus loin, en faisant fi de l’horreur, il est accro au savoir. Le film interroge: toutes les vérités sont-elles bonnes à connaître ou existe-t-il un secret dans l’origine de notre espèce qu’il vaut mieux ignorer ou du moins aborder avec davantage de prudence? Malgré la complexité de cette thématique centrale, le film reste à peu près compréhensible pour le public, réussissant à nous faire saisir les grands enjeux de ce périple dangereux.

Pour mettre en image cette quête, Ken Russell s’appuie sur un montage sec et nerveux: les scènes sont relativement courtes, on passe par des ellipses parfois conséquentes pour aller à l’essentiel et la mise en images n’hésite pas à nous prendre à la gorge pour nous interdire tout relâchement. Le seul élément tangible et immuable auquel on peut se raccrocher, ce sont ces caissons de privation sensorielle dont Jessup ressort toujours de plus en plus métamorphosé. Des séquences hallucinatoires prononcées se font également récurrentes, des scènes où Ken Russell accumule les images fugaces dans un enchaînement epyleptique, mélangeant images cosmiques, éléments qui se déchaînent et apparitions bibliques entre autres. Des instants durs à digérer mais qui trouvent un certain sens dans la logique du récit.

« Problèmes de peau. »

Humain primaire

En parallèle de cette soif de vérité scientifique qui habite Jessup, le film va proposer un niveau de lecture secondaire bien plus centré sur l’humain que sur la connaissance. Une morale habite le récit: l’essentiel n’est pas dans l’envie de tout apprendre mais plutôt dans le bonheur concret qui naît des gens qui nous entourent. La romance qui est au centre d’”Au-delà du réel” sert à démontrer à quel point le personnage principal se fourvoie alors que le sens de sa vie est avant tout dans l’amour qu’il devrait éprouver pour sa compagne. Le long-métrage nous ramène dans une réalité plus concrète.

Cette femme (Blair Brown) mais également l’intégralité des rôles secondaires servent aussi au public à s’ancrer plus efficacement dans l’histoire. Il est quasiment impossible pour un spectateur normal de saisir toutes les subtilités d’”Au-delà du réel” et c’est à travers ces protagonistes annexes qu’on réussit à s’émouvoir. Dans leurs confrontations, leurs points communs ou leurs divergences, on trouve une béquille émotionnelle à laquelle se cramponner.

Ils remettent en perspective à une échelle plus accessible le périple existentiel d’un homme qui ne voit pas qu’en analysant les choses à l’extrême, il rate l’essentiel. En mélangeant science-fiction et folklore, Ken Russell donne une identité forte et originale à son film et de tels personnages qui nous ressemblent un peu plus que Jessup ne sont pas de trop pour ne pas décrocher.

Bouh!

Mais ce qui est particulièrement intéressant dans un film souvent très philosophique, c’est cette parenthèse proche du film d’horreur que va nous servir “Au-delà du réel”. Ken Russell casse sa dynamique, tout spécialement au milieu du film, pour partir vers un autre genre qui exacerbe les émotions. On est tout de même loin de l’incongru, ces séquences sont logiques dans l’enchaînement des événements mais c’est avec un brio certain que le cinéaste parvient à changer de cap.

Plusieurs années avant “La mouche”, il semble qu’”Au-delà du réel” balisait déjà le chemin pour le film de David Cronenberg. Le scientifique obsédé, l’expérience qui déraille et la métamorphose physique en animal: autant d’éléments communs aux deux œuvres qui questionnent intelligemment notre rapport à la soif de savoir et la prudence qui doit l’accompagner. La parenté est totale.

Saluons enfin le travail de maquillage du grand Dick Smith. Un simple coup d’œil sur sa filmographie et vous comprendrez la magnitude d’un artiste qui a totalement marqué le cinéma de son empreinte. Les transformations de Jessup sont toujours aujourd’hui d’un réalisme saisissant et aident le film à rester un plaisir visuel encore aujourd’hui. “Au-delà du réel” est le témoignage du savoir-faire d’une époque désormais lointaine mais qui fonctionne toujours autant.

Derrière ses élans philosophiques, “Au-delà du réel” cache un film complexe sur la psyché humaine et la soif de connaissance. Parfois difficilement accessible mais parfois étonnamment divertissante, la pellicule possède une personnalité totalement unique.

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

Laisser un commentaire