2009
réalisé par: Jane Campion
avec: Abbie Cornish, Ben Whishaw, Paul Schneider
Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Bright Star” de Jane Campion.
Près d’une fenêtre, une jeune femme s’applique méticuleusement sur une couture finement travaillée. Le bruit de l’aiguille qui transperce le tissu se fait prononcé et nous immerge dans cette ambiance immédiatement. Dehors vont et viennent des personnages aux costumes d’époque, arpentant une route de terre un peu grossière. Puis se dessine la demeure de notre brodeuse: un édifice en pierre ancien qui achève de nous faire voyager dans le temps. Nous voilà en Angleterre, au 19ème siècle, pour vivre “Bright Star” de Jane Campion.
L’histoire vraie, sur plusieurs années, de l’amour passionel entre le fameux poète John Keates (Ben Wishaw), un artiste sans le sou qui ne connaîtra la renommée qu’après sa mort, et la jeune Fanny Brawne (Abbie Cornish), une femme au foyer passionée de mode. Leur idylle va se faire grandiosement romanesque alors que les circonstances de l’époque s’opposent légèrement à leur union.
“Bright Star” c’est avant tout une certaine extase des sens dans un florilège artistique complet. Les tenues extravagantes de Fanny se mélangent avec la poésie de John. La musique de jadis répond aux ornements d’époque de la maison où va prendre place la quasi totalité de l’intrigue. Jane Campion réussit au moins le pari du mélange complet de tous ces éléments avec une cohérence pourtant constante.
La composition de ses plans interpelle aussi. Par moments, les personnages et l’éclairage rappellent les toiles de maîtres de ces temps anciens, comme lorsque Fanny brode près d’une fenêtre et que le jour illumine sa silhouette. À d’autres instants, c’est la force d’évoquation très symbolique de certaines scènes qui nous frappe, avec pour exemple concret cette scène où la jeune femme élève des papillons dans sa chambre et où ceux-ci virevoltent partout dans la pièce. Sur un plan purement visuel, “Bright Star” n’a pas à rougir.
Jane Campion va jouer sur l’émotion dans sa réalisation: elle s’attarde sur des visages, impose des moments silencieux au milieu de certaines tirades, joue du hors-champ pour mieux marquer les sentiments des protagonistes. On aurait beaucoup de mal à critiquer sa réalisation qui bien qu’un peu académique est parfaitement maîtrisée. La cinéaste nous remémore le brio qu’elle affirmait déjà dans “La leçon de piano”.
« If You’re going to San Fransisco… »
Le problème qu’on a éprouvé avec le film, et c’est maintenant qu’on va avancer quelques grosses réserves, c’est déjà son côté affreusement verbeux. Alors oui, on sait, critiquer les dialogues alors que l’un des protagonistes principaux est un poète, c’est un peu culotté, et on ne doute pas que les admirateurs de John Keates se sont régalés devant un tel étalage de ses écrits. Toutefois, pour les non-initiés (comme nous, soyons honnête), le film devient clairement répétitif. Jane Campion joue d’ailleurs sur une espèce de faux rythme qui suspend presque le temps autour de son idylle. Si on adhère à cette proposition une bonne moitié du film, on finit par s’en lasser et se désintéresser de l’oeuvre.
L’assemblage proposé par la réalisatrice ne prend tout simplement pas. C’est un sentiment dur à définir: tous les ingrédients du film sont savoureux, du travail méticuleux de l’image jusqu’aux écrits forcément intéressants de Keates, mais une fois mélangés, on obtient une espèce de bouillie indigeste et fade. D’accord, on est un peu dur et d’autres s’en sont régalés très certainement, mais pour notre part, on est resté hermétique à cette proposition qui manque d’originalité.
Ce manque d’audace vient peut-être du cadre rigide de l’oeuvre. Enfermé dans une reconstitution fidèle, jamais le film ne s’émancipe de son carcan pour élever son propos vers des considérations plus profondes. Il reste incroyablement balisé, sans réelle ampleur mais plutôt pourvu d’une fausse contenance qui passerait parfois pour une forme de prétention. On ne réclamait évidemment pas un thriller mais il nous a semblé que cet amour méritait mieux.
Reste tout de même cette idée de la passion entre deux êtres. Cette idée que le sentiment amoureux peut être à la fois extasiant et destructeur dans une certaine mesure. Fanny et John sont des amants maudits et on cerne très rapidement que leur union est vouée au désastre, bien trop fusionnelle. On rêve tous d’une relation similaire mais Jane Campion n’embellit pas fictivement son portrait et garde une certaine tension dramatique sur laquelle elle s’appuie habilement.
Mais l’ultime souci de son long-métrage, c’est peut-être justement l’omniprésence de ses deux héros principaux qui écrasent tout sur leur passage. Autour d’eux, tous les personnages secondaires deviennent comme effacés, réduits aux rôles de simples faire-valoir scénaristique. On retient à la limite l’ami de Keats, Mr. Brown, mais même lui se retrouve relégué au second plan au bout d’un moment. Tous ces protagonistes annexes ne finissent par être disséminés dans le film que pour définir un peu plus Fanny et John alors que Jane Campion les cernait déjà fortement.
Pour être honnête, on s’est ennuyé devant “Bright Star”. Le film nous a captivé pendant une bonne heure mais sa deuxième moitié n’a semblé que rabâcher un propos déjà complet dans sa première portion.