Saya Zamuraï

2010

de: Hitoshi Matsumoto

avec: Jun KunimuraMasatô IbuRyô

En cinéma comme dans toute forme d’art, il y a deux écoles. La première est la plus conventionnelle: elle cherche à épouser les codes, pour en tirer le meilleur, ce qui parfois donne lieux à des fresques fantastiques  ou des films plus intimistes mais travaillés. Puis il y a l’autre façon de faire, l’expérimentation. Tenter d’assembler ce qu’on peut à gauche et à droite, et regarder comment cela fonctionne ou non, puis aviser. Une science du cinéma plus profonde, souvent plus métaphorique et surtout courageuse. Plus d’un metteur en scène navigue entre ces deux dogmes, mais aujourd’hui on s’intéresse à “Saya Zamuraï” et donc aussi à son réalisateur Hitoshi Matsumoto, véritable Frankenstein de la comédie.

Car le cinéaste ne nous est pas totalement inconnu: quelques temps avant l’ouverture de notre site, on était tombé complètement en hypnose devant “Symbol”, une autre de ses inventions géniales: enfermé dans une pièce, un homme appuie sur un bouton (de forme phallique) pour tenter de se libérer: à chaque pression, un phénomène différent, que ce soit une brosse à dent qui tombe du ciel ou le destin d’un lutteur mexicain changé à jamais. Du génie sur lequel on reviendra un jour.

Mais aujourd’hui, on s’intéresse donc à son film suivant, “Saya Zamuraï”. L’histoire d’un samouraï couard et sans sabre qui est recherché activement. Capturé, on lui inflige le supplice des 30 jours: un petit mois et c’est tout pour réussir à faire sourire le prince du domaine, sinon il devra se suicider. Chaque jour, une nouvelle tentative et chaque jour une nouvelle invention, souvent absurde et ridicule, du samouraï pour sauver sa peau.

Un schéma scénaristique qui fonctionne diablement bien. On pense immédiatement aux “1001 nuits” et cette épée de Damoclès permanente au-dessus de la tête de notre héros maintient la pression suffisante. D’autant plus que Hitoshi Matsumoto gère bien le rythme de son histoire. Parfois sur une cadence effrénée, parfois plus élaborée, chaque tentative a son traitement propre et le réalisateur nous laisse à peine le temps de les dénombrer.

« À mourir de rire. Ouais ben c’est bon là! »

Mais il faut bien comprendre que ce film, ce n’est pas qu’un divertissement. Comme on vous le disait, c’est une expérimentation, une ultra schématisation de ce qui fait rire (ou non) dans le domaine du divertissement. Si les premières tentatives sont pitoyables, le film va très vite embarquer une poignée de personnages secondaires à côté de notre samurai, tentant de l’aider ou au moins de le prendre en pitié. D’abord ses geôliers, puis sa propre fille, puis finalement même ceux qui étaient des antagonistes: le cinéaste, avec ce mouvement de sympathie, prend en otage émotionnellement le spectateur et c’est ce qui contribue au succès de la démonstration.

Sur un plan plus concret, les sketchs proposés par le samurai sont de plus en plus grandioses, et de plus en plus répétés. Voilà un message assez intéressant: celui d’étaler au spectateur les rouages du rire au cinéma. Les grands escamotages ou même un entraînement quotidien de titan ne suffisent pas pour être drôle. Ils aident bien sûr, mais le rire est plus complexe et plus simple à la fois, il est viscéral.

Et ça, le réalisateur l’a parfaitement compris. Si sa thèse est si bien admise, c’est déjà parce que Matsumoto lui-même est drôle. Le personnage principal de son film est un vrai gaffeur, que l’on croirait tout droit sorti d’un strip de bande-dessinée. Un noble bouffon. Mais un deuxième point fait indiscutablement la pertinence de “Saya Zamuraï”, et celui-ci tient plus au caractère vicieux du cinéaste. 

Même quand nous, spectateurs, sommes acquis à la cause du vieux sabreur, on nous refuse le rire du prince. Presque avec un narcissisme démoniaque, Matsumoto conserve les rênes du film. Déjà que de manière très cabotine, il nous proposait un samurai en quête de déshonneur, le metteur en scène va doubler cela par sa retenue, pour mieux nous gifler à la fin. Sans en avoir l’air, il fait de chaque spectateur un personnage de foule du film, avec une belle intelligence.

Saya Zamourai” n’est pas un film ordinaire et vous ne devriez pas tomber dessus au hasard. Mais si la construction scénaristique d’une œuvre vous interpelle et que vous êtes prêts pour une petite leçon dans le domaine, vous êtes à la bonne adresse.

Nicolas Marquis

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