Et j’aime à la fureur
Et j'aime à la fureur affiche

2022

Réalisé par : André Bonzel

Film fourni par L’Atelier D’Images

Depuis sa plus tendre enfance, André Bonzel voue une admiration démesurée au cinéma, et à ceux qui en sont les artisans. De la découverte de films qui le subjuguent chez l’un de ses voisins, à la capture de son environnement par l’intermédiaire de sa caméra Super 8 dans la fougue de l’adolescence, le futur metteur en scène est fasciné par l’immortalité qu’offre la pellicule. Néanmoins, alors qu’il a désormais 56 ans, André Bonzel n’a pas connu une carrière riche en longs métrages. N’ayant que trois films à son actif, l’artiste a rencontré nombre de déboires et s’est heurté à la dureté d’un milieu qu’il a parfois eu du mal à apprivoiser, accumulant les actes manqués. En 1992, alors qu’il vient de finir ses études, il signe pourtant une œuvre devenue culte et qui lui ouvre en grand les portes du cinéma, avec C’est arrivé près de chez vous, réalisée en compagnie de son ami disparu trop tôt, Rémy Belvaux. Mais malgré le plébiscite public et les honneurs d’une invitation au Festival de Cannes, André Bonzel ne transforme pas l’essai, et reste désespérément en marge d’un monde qu’il aime pourtant passionnément. Durant plus de 30 ans, il ne réalise aucun long métrage, même s’il occupe ponctuellement différents postes techniques sur les films de ses confrères.

Cependant, son amour ne s’amenuise pas, et André Bonzel manifeste également sa passion sous une forme tout à fait surprenante. Outre les chefs-d’œuvres iconiques du septième art, il collectionne les bobines de films de famille de parfaits inconnus, qu’il qualifie volontiers de véritables objets cinématographiques à part entière. Le metteur en scène est hypnotisé par les instantanés du bonheur des autres, y trouvant une forme de vérité supérieure qui l’émeut profondément. Aux côtés des archives de sa propre lignée, il accumule ainsi des milliers d’heures de la vie de personnes qu’il n’a jamais côtoyées, mais dont il entretient la mémoire. En 2014, André Bonzel souhaite mettre à profit son étonnante lubie pour élaborer un authentique long métrage documentaire qui signe son retour à la réalisation. L’artiste entame un long processus d’autobiographie filmique, mélangeant à l’écran les images des siens, et celle de quidams, accompagnées par sa voix en off qui confie les tourments de sa propre existence. Durant presque huit ans, il se consacre à ce projet hors normes, d’abord seul, avant d’être rejoint par la société de production des Films du poisson, qui l’aide à mettre sur pied Et j’aime à la fureur. D’une douceur incommensurable, son film à l’honneur d’être présent dans la sélection Cannes Classics en 2022, preuve que malgré les décennies qui se sont écoulées, La Croisette n’a pas oublié le cinéaste.

Et j'aime à la fureur illu 1

Qu’ils soient les ancêtres de André Bonzel, le réalisateur lui-même, ou des hommes et femmes anonymes que le metteur en scène n’a jamais connus, tous se mélangent à l’écran dans un exercice d’introspection, qui prend des allures d’odyssée aux confins de la mémoire. En confrontant les époques et les êtres, Et j’aime à la fureur transforme l’autobiographie en élan commun et universel, où se découvrent l’amour, la haine, la passion artistique, et la recherche d’un bonheur souvent fugace. La vérité intime d’André Bonzel réussit à émouvoir tous les spectateurs, et à les impliquer dans son épopée pourtant ordinaire, faisant vibrer subtilement les cordes de l’émotion.

Tout comme il en a fait le socle de sa construction personnelle, André Bonzel fait de la magie du cinéma le moteur de Et j’aime à la fureur. Son œuvre est habitée par la démesure de sa passion, et ses envolées verbales prennent souvent l’allure d’ardentes déclarations de désir adressées à un art qui continue de le définir. En interview, le réalisateur qualifie volontiers son œuvre de « lettre d’amour au cinéma et aux gens qui filment« . Pour permettre aux spectateurs de ressentir le coup de foudre artistique qui a été le sien dans sa jeunesse, le documentariste dissémine malicieusement des extraits de films de son enfance, et aux visages des inconnus répond celui d’un Buster Keaton mutin. Le jeune garçon a trouvé dans le septième art une forme de tendresse absente dans sa famille, et tout spécialement chez son père, némésis implicite de l’œuvre. Néanmoins, les extraits de longs métrages commercialisés ne représentent qu’une poignée de secondes dans le documentaire. Perpétuellement, André Bonzel confie l’espace visuel de son film à des inconnus venus de temps reculés, qui pris d’une irrépressible envie de filmer la vie dans toute sa beauté, ont saisi une caméra. Le réalisateur se passionne pour ces images amateures, leur invente une histoire, y trouve une profondeur insoupçonnée qu’il réussit à mettre en exergue. Avec cette nouvelle clé de compréhension en mains, le public comprend mieux la démarche de mise en scène de C’est arrivé près de chez vous, qui émulait à plus d’un titre une fausse capture improvisée du quotidien, et la vision des premiers essais vidéos de André Bonzel dans Et j’aime à la fureur confirme ce sentiment. 

Et j'aime à la fureur illu 1

Toutefois, même si une glaciation intense entre le cinéaste et son père ponctue l’ensemble du film, le réalisateur s’inscrit avec ce procédé dans une forme d’héritage des Bonzel. De très nombreux aïeux ont eux aussi manipulé la caméra, et tenté de vaincre la marche du temps en immortalisant des moments suspendus, désormais présents dans Et j’aime à la fureur. Cinéma et famille fusionnent et ne font plus qu’un, à tel point que le spectateur ne s’étonne pas d’apprendre que le grand-père du cinéaste était présent à la première projection publique des frères Lumières, et qu’il a éprouvé lui aussi un violent coup de foudre pour les images animées. Ingénieur de métier, il a même essayé, sans succès, de développer ses propres machines cinématographiques, inscrivant par là même le septième art dans l’ADN de ses descendants. Ses propres fils ont pour la plupart noué une relation intime avec la caméra, filmant aussi bien les instants de connivence familiale que leurs maîtresses dénudées, faisant parfois de leur passion un hobby, d’autres fois un métier.

La sexualité constitue l’autre fil rouge de Et j’aime à la fureur, tant et si bien qu’André Bonzel érige l’appétit pour les plaisirs de la chair en autre héritage. Le même grand-père qui avait assisté à la projection de L’arrivée du train en gare de La Ciotat transforme ses premières expériences de cinéaste en détournement coquin de L’Arroseur arrosé, traduisant ainsi un attrait exacerbé pour l’érotisme. Certains Bonzel font même de la capture de moments charnels un véritable métier, tandis que pour d’autres cette passion étrange reste un tabou. Il semble qu’à peine le cinéma inventé, l’homme a cherché à graver sur la pellicule les ébats, et la volupté des corps. Les courbes féminines sont tel un paradis perdu, qu’André Bonzel tente de retrouver. Le cinéaste nourrit une forme de nostalgie pour ses années de débauche étudiante, lorsque pour juste une partie de la nuit, il partageait sa couche avec des rencontres d’un soir. Le cinéaste brûle d’aimer, même pour un instant éphémère, rejoignant ici la fureur évoquée dans le titre de son œuvre. L’artiste n’en perd pas moins une forme de respect pour la femme, et fait des ses attraits un objet de fascination, retranscris avec une forme de douceur indéniable, même s’il assimile malicieusement la caméra de son adolescence à une extension métaphorique de son pénis. Un berceau du désir se dessine dans ces jeunes années, alors que le réalisateur offre une grande place à l’écran à son premier amour, entre les dunes de sable d’Ambleteuse. De l’aveu de l’artiste, ces instants de vacances constituent les seuls moments de bonheur de son enfance, et dans l’extase des courses éperdues sur la plage, le temps se suspend.

Et j'aime à la fureur illu 3

Cinéma et sexualité forment un trait commun entre presque tous les Bonzel, donnant à cette réflexion toute sa substance à Et j’aime à la fureur. Pour André Bonzel, frappé d’une illumination à l’occasion de la dégustation d’une “très bonne beuh”, la famille n’est qu’une chaîne infinie, dont il n’est qu’un des innombrables maillons, répétant malgré lui le modèle de ses ancêtres. En proposant à l’écran l’image de farandoles d’inconnus, le cinéaste illustre son idée par un cortège de corps, unis dans la danse. Perpétuellement, le long métrage tente de mettre en parallèle l’histoire personnelle du metteur en scène avec celle de ceux qui l’ont précédé, tissant un ensemble de similarités étonnantes, le plus souvent avec les marginaux de la famille. Sa tante Lucette, véritable électron libre, apparait dans des images douces comme une figure tutélaire aimante, qu’André Bonzel expose avec candeur. Un oncle lointain, forain au cirque Barnum, fait quant à lui de l’aspiration artistique du réalisateur un patrimoine dont il a hérité sans le savoir. Néanmoins, si le documentariste ne peut se défaire totalement du leg familial, on devine aisément qu’il cherche malgré tout à s’en extirper. Une forme de défiance envers ses ancêtres industriels se devine, mais plus que tout, c’est l’ombre d’un père incapable d’exprimer son affection qui oppresse le cinéaste. Tandis que le réalisateur s’étonne de trouver des images tendres entre eux, opposées au souvenir qu’il entretient, il s’interroge sur la pertinence des films de famille, et sur la réalité tronquée qu’ils retranscrivent. L’homme ne filme que le bonheur, au détriment d’une représentation concrète du quotidien. De son père, l’artiste n’a hérité qu’un dégoût profond pour la nourriture, et se montre écoeuré devant les images de partie de chasse de son aïeul qu’il déteste ostensiblement.

S’il maudit son père, alors André Bonzel cherche l’amour vrai ailleurs, partout où il pourrait se nicher. Et j’aime à la fureur confronte la dureté des sentiments, manifestée par la trajectoire malheureuse de sa propre mère ou par celle d’une femme rouée de coups jusqu’à la mort à la libération, à sa quête permanente de bonheur. Le réalisateur veut vivre dans la plénitude, loin du modèle familial qu’il a subi dans son enfance. Les images des inconnus heureux deviennent son El Dorado inatteignable, synthétisé par le premier film amateur dont il fait l’acquisition, les vacances d’une petite fille anonyme entourée de l’affection de ses parents. Sur la pellicule des autres, André Bonzel trouve ce qui lui manque, et la force de continuer à avancer malgré les épreuves. Même s’il comprend l’inexorable fatalité de la mort qui nous attend tous, comme celle de Rémy Belvaux évoquée subtilement, le cinéaste évolue entre deux mondes, celui du quotidien, et un autre de l’éternité d’instantanés volés. Dès lors, et alors qu’il trouve enfin l’amour de sa vie, le destin du réalisateur n’est plus unique, mais explose à l’écran dans la joie de milliers d’anonymes, à travers une effusion de bonheur qui emporte tout sur son passage. Rarement portrait intime aura été aussi collectif que dans Et j’aime à la fureur, rythmé par la douce poésie des mots et des images.

Et j’aime à la fureur est un petit bijou, délicat, original, et profondément doux. Dans son autoportrait, André Bonzel convoque la sensibilité mise à nue de tous les spectateurs.

Et j’aime à la fureur est disponible en édition Prestige Blu-ray / DVD / CD chez L’Atelier D’Images, avec en bonus : 

  • Une interview de André Bonzel
  • Un court métrage inédit
  • Des séquences coupées
  • Le CD de la bande originale composée par Benjamin Biolay

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

Laisser un commentaire