Phoenix

2014

réalisé par: Christian Petzold

avec: Nina HossRonald ZehrfeldNina Kunzendorf

Lorsqu’on entend disserter autour des blessures les plus vives de l’Histoire, tout est affaire de placement chronologique. Pour la Seconde Guerre mondiale, dont il va être question aujourd’hui, le plus évident est de se positionner pendant les conflits, entre 1939 et 1945, au plus fort des horreurs nazies. Se placer avant cette période peut également s’avérer interéssant, pour mieux comprendre les racines du mal, comme le faisait Michael Haneke dans “Le ruban blanc”. Mais il est bien plus rare qu’un film théorise autour de “l’après”, alors que l’Allemagne tente une impossible réconciliation entre rescapés des camps et collabos du temps de la guerre. Ce choix pertinent, c’est celui que va faire “Phoenix”.

L’héroïne est Nelly Lenz (Nina Hoss), une chanteuse juive qui quitte les camps de concentration après la guerre, totalement défigurée par les barbares nazis. Aidée moralement et financièrement par son amie Lene (Nina Kunzendorf), elle va subir une lourde chirurgie plastique pour lui redonner un visage humain. Mais Nelly n’arrive pas à avouer sa survie à son mari, Johnny (Ronald Zehrfeld), honteuse de ses nouveaux traits. Elle va donc l’approcher anonymement et le jeune homme, frappé par la ressemblance sans la reconnaître pour autant, va lui demander de se faire passer pour Nelly, afin d’obtenir réparation financière, sans savoir qu’il s’agit bien de la jeune femme. Au fur et à mesure de leurs répétitions, les secrets les plus affreux de la guerre vont refaire surface.

C’est donc une romance bien particulière que propose “Phoenix”, une histoire d’amour remplie de mensonges, de faux semblants, et frappée d’un sentiment très malsain. L’honnêteté est souvent la base d’un couple et avec ce postulat de départ très spécial, ces fondations vascillent. Il existe un sentiment assez net dans le long-métrage, installé dès l’entame: les deux amants courent à la catastrophe dans leur poursuite du temps perdu.

Leur amour est complètement tronqué, et n’existe plus que dans des sentiments idéalisés. Le réalisateur Christian Petzold va se poser en destructeur: chaque revers de son scénario est un coup de pioche supplémentaire, condamnant Nelly et Johnny au pire. Seule une question domine: jusqu’où l’héroïne pourra-t-elle aller dans le mensonge avant d’ouvrir les yeux sur la personnalité trouble de son mari?

« Combat de regard! »

Pour appuyer ce drame perpétuel, Petzold va chercher à englober le plus souvent possible les deux personnages avec sa caméra. Cette histoire, même si elle cristallise des problèmes concrets de l’Allemagne d’après-guerre, est celle de ces deux époux. Son cadrage, en les réunissant, appuie tout ce que l’histoire comporte de malsain. Ce sentiment, le cinéaste va le conforter en enfermant les protagonistes dans le petit studio de Johnny pendant une grande partie du film. La claustrophobie ambiante appuie la décadence amoureuse.

Avec un scénario aussi centré sur Nelly et Johnny, il faut un duo d’acteur performant et “Phoenix” trouve là un souffle intéressant dans les performances de Nina Hoss et Ronald Zehrfeld. Elle est sensible, vacillante, en recherche d’un passé qu’on lui a dérobé. Lui est beaucoup plus vicieux, parfois colérique et bien plus intéressé par les avantages pécuniers de la situation. Dans ce mariage hétérogène, l’oeuvre s’appuie sur de solides interprétations.

Toujours dans cette démarche de simplicité, de volonté de mise en avant du couple, les lignes du film et la photo sont empreintes d’une certaine forme de pureté. “Phoenix” est sobre mais classieux, jamais trop grandiloquent mais plutôt habité d’un esprit intime qui séduit. C’est en s’appuyant sur ce dogme que le film devient symbolique des difficultés du pays à cette période de l’Histoire.

Par endroit, Christian Petzold va toutefois imposer des virgules artistiques, le plus souvent à travers les chansons qui ponctuent le film. Le réalisateur interroge: “L’art est-il mort en même temps que l’infâme se produisait?”. “Non” semble vouloir dire le cinéaste, mais dans ces incursions particulièrement discrètes, il semble dans le même temps affirmer que pour les artistes comme Nelly, l’essentiel n’est pas à la performance mais plutôt à la reconstruction intime.

Et malgré quelques piétinements scénaristiques, la question fondamentale que nous pose “Phoenix” découle naturellement: l’Allemagne peut-elle redevenir un peuple uni? Entre survivants forcément traumatisés et population honteuse d’avoir fermé les yeux, il y a là un schisme qui apparaît insurmontable. C’est d’autant plus visible chez les personnages secondaires du film, plus tranchés que les deux héros, bercés d’illusions et qui affirment chacun une nuance supplémentaire de cette réconciliation presque impossible. La défiance est partout dans le film et c’est seulement au bout de l’œuvre que Christian Petzold va livrer sa réponse, après avoir construit sa thèse.

Phoenix” reste imparfait: son rythme parfois lancinant et ses quelques répétitions montrent toute la difficulté de résumer en 1H30 une question aussi épineuse. Mais grâce à son honnêteté intellectuelle et sa démarche artistique, Christian Petzold offre des pistes de réflexions toujours intéressantes et indispensables à creuser.

Nicolas Marquis

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