(There Was a Crooked Man…)
1970
réalisé par: Joseph L. Mankiewicz
avec: Kirk Douglas, Henry Fonda, Hume Cronyn
Aujourd’hui, Les Réfracteurs vous régalent et vous proposent un trio mythique: derrière la caméra, le grand Joseph L. Mankiewicz, cinéaste culte, grand nom de l’âge d’or d’Hollywood qu’on a déjà évoqué sur notre site. À l’écran, deux des plus grands acteurs de notre art de prédilection: Kirk Douglas et Henry Fonda, rien que ça! En toile de fond, l’ouest américain du temps des cowboys et des hors-la-loi mais attention, on est ici assez loin de la grammaire habituelle du western: “Le reptile” qu’on va évoquer aujourd’hui se rapproche davantage de la comédie. Un casting génial donc qui va porter cette œuvre sur ses épaules et même si on va émettre quelques réserves sur le film en lui-même, voir ces génies se répondre sur la pellicule reste un plaisir.
“Le reptile”, c’est l’histoire de Paris Pitman (Kirk Douglas), un bandit de grands chemins un peu farfelu qui avant de se faire attraper par les autorités va planquer un juteux magot dans les plaines arides américaines. Emprisonné, il va faire miroiter les dollars à ses co-détenus pour mettre en place un plan d’évasion aussi exubérant que lui. Il va toutefois devoir composer avec la surveillance méticuleuse du gardien en chef Lopeman (Henry Fonda), un homme soucieux d’offrir aux prisonniers un cadre de vie plus humain.
Ce décor de prison, par nature austère, Mankiewicz va réussir à le rendre évolutif pour donner du rebond à son film. On ne découvre pas immédiatement tous les lieux, et lorsqu’on pense avoir fait le tour des environs, le scénario va donner l’occasion aux bagnards d’ériger de nouveaux bâtiments sous l’impulsion de Lopeman. Une belle maîtrise de l’environnement pour le cinéaste qui n’oublie pourtant pas d’appuyer sur l’enfermement, à la manière dont il utilise à plusieurs reprises des plans affichant ses personnages derrière les barreaux de leurs cellules.
Autre marqueur sensoriel qui donne du rythme au long-métrage, la musique. C’est d’abord une chanson interprétée par Trini Lopez qui se réapproprie une célèbre comptine anglo-saxonne et qui reste délicieusement en tête, puis tout un panel de variations autour de cette mélodie proposé par Charles Strouse. Cette mélopée participe indéniablement au caractère farfelu et enjoué du “reptile”.
« Il nous fonce dessus! »
Le montage épouse d’ailleurs aussi cette cadence pleine de ressorts. Mankiewicz va à l’essentiel et enchaîne les scènes remplies de rebondissements. On ne s’ennuie pas devant “Le reptile”, on est impliqué dans son histoire, pris par la main par un formidable conteur d’histoires qui expose une fois de plus son talent. Il existe quelques failles dans le scénario, mais pas dans la narration au rythme soutenu du réalisateur.
Le rire narquois et complice que suscite l’œuvre qui nous intéresse aujourd’hui est proposé avec une certaine pêche. “Le reptile” claque, virevolte, cabriole: Mankiewicz joue une partition somme toute un peu traditionnelle mais avec une certaine maîtrise. Le problème va être que tout cet humour sympathique va perturber le fond de l’œuvre qui aurait pu être plus marqué dramatiquement.
Il y a sans doute un message à tirer des efforts de Lopeman pour améliorer sa prison et dans la façon dont il ne se voit pas récompensé, mais pour délivrer cette proposition, le film va manquer d’une certaine ampleur, se réfugiant trop régulièrement dans le rire et dans les facéties de Pitman. En restant “juste” amusant, “Le reptile” s’empêche de théoriser la seconde chance que veut offrir le personnage d’Henry Fonda aux taulards et se contente d’un propos de fond qu’on pourrait résumer à “chacun pour soi”. Frustrant.
De la même manière, Lopeman s’oppose sur la fin à sa hiérarchie, ouvertement décrite comme hypocrite et désintéressée. Là encore, il y a une étincelle, quelque chose de plus profond qui se dégage du film tout d’un coup. Mais trop tard et trop brièvement pour qu’on imprime ce message. Toute la dimension politique du long-métrage se noie dans la rigolade et on y a vu une forme d’acte manqué.
Reste des performances d’acteurs splendides: Kirk Douglas éclabousse la pellicule de son talent en imposant un personnage génialement fantasque et prétentieux, véritable clown du Far-West. En face, Henry Fonda ne démérite pas et c’est intéressant de le voir vieillissant, incarnant un homme plein de principes mais dont l’âge a diminué les forces. Il apparaît presque comme dans la continuité des rôles de justiciers valeureux qu’il a souvent joués, mais sur lesquels le poids des années se fait sentir.
Puis enfin, il y a la bande hétéroclite de Pitman qui se compose naturellement dans la prison et qui rassemble des personnalités variées. Un artiste peintre, un vieux bagnard, un asiatique taciturne, un bandit sans foi ni loi… On assemble plusieurs figures connues pour mieux les unir avec le panache qui caractérise “Le reptile”.
Le film ne manque pas de générosité et n’ennuie personne. Simple petit regret: le manque d’envergure de son message de fond qui aurait mérité un traitement plus poussé.