L’affaire SK1

2014

de: Frédéric Tellier

avec: Raphaël PersonnazNathalie BayeOlivier Gourmet

« Inspiré de faits réels ». Quatre petits mots accolés à un film qui suffisent souvent à s’attirer les faveurs d’une portion du public. D’autant plus lorsque le long-métrage restitue une horreur crue et hideuse. En glissant la réalité dans le champ artistique, c’est d’un coup un miroir de la société qu’on affiche à l’écran, mais qui renvoie un reflet déformé, délimité par ceux qui ont porté l’œuvre au cinéma. Questionnons-nous aujourd’hui sur la pertinence d’un film, non documentaire, mais qui cherche toutefois à coller le plus possible à ces fameux “faits réels”.

« L’affaire SK1 » c’est l’histoire de la traque et du jugement de Guy Georges, le “tueur de l’est parisien” comme il fût surnommé. La longue enquête sur plus de 10 années et les heures interminables d’un procès éprouvant pour les familles des victimes, jusqu’au dénouement connu de tous, avec des aveux au bout de l’émotion.

Dès le départ, le cinéaste Frédéric Tellier va adopter une posture qui va entacher tout le film: celui de s’en tenir quasiment uniquement aux faits prouvés et avérés. Trouvant du rythme en mélangeant sa chronologie, alternant enquête et procès, on comprend presque sa volonté de respecter la réalité. Mais en même temps qu’on assimile son intention, on fait le deuil de l’oeuvre: un film sans âme, sans relief, presque plat. Bien sûr, l’histoire est aussi passionnante que macabre et sa restitution suffit à faire passer un moment poignant. Mais peut-on faire du cinéma seulement à partir de cela, sans imposer de véritable vision artistique? 

Ce triste constat va entacher toute la construction de l’oeuvre, et chaque amorce est contrariée par cette volonté. On peut même contrebalancer chaque démarche du réalisateur par une espèce de pudeur incongrue. Par exemple, l’intention au cours du procès de creuser le passé de Guy Georges: pourquoi pas? Mais en s’en tenant quasiment exclusivement à la retranscription des échanges entre les témoins et l’accusé, le film ne va pas au bout de sa démarche.

« Nathalie Baye mais ne s’endort pas! C’est gratuit »

Le plus probant de cette problématique, c’est sans doute la bonne moitié du film consacrée à l’enquête. Une fois de plus, en s’en tenant aux procès verbaux et aux témoignages de ceux qui ont vécu cette traque, “L’affaire SK1” rate le coche: malgré quelques erreurs imputables à la lourdeur administrative, le film donne une image idéalisée de la police judiciaire. Des portraits d’enquêteurs sans aspérité, à peine marqués par les événements, et qui étale une série de clichés redondants.

On pense tout particulièrement au héros de cette enquête: le policier que l’on surnomme “Charlie” (joué par Raphaël Personnaz, un nom qui ne s’invente pas…). Son jeu d’acteur est presque toujours à côté de la plaque. Soit en voulant en faire trop, soit en étant trop effacé, il ne trouve jamais l’équilibre. Le scénario ne l’aide clairement pas et la vie personnelle de son protagoniste est extrêmement vite expédiée. Cette version lissée de la PJ, propre sur elle et fidèle aux procédures, donne un sentiment étrange d’irréalité, un comble pour une histoire vraie. Seul Olivier Gourmet s’en sort bien, malgré une écriture de son rôle aussi plate que le reste. Ne reste donc de ce morceau du film qu’un simple polar efficace mais sans identité.

Puis il y a la deuxième moitié du film, mélangée avec la première (l’une des seules vraies propositions de style du film), celle du procès. Et on déplore que les personnages des avocats de Guy Georges soient aussi navrants que les enquêteurs. On se doute que défendre un homme aussi détestable donne lieu à des réflexions profondes chez eux, mais en étalant publiquement leurs états d’âme, on sombre dans le pathétique. Une fois de plus, les faits réels suffisent à transporter le spectateur moyen mais donner aux avocats le rôle de confesseurs privilégiés est malséant. D’autant plus que dans cette partie du film, le réalisateur choisit de faire des coupes très franches dans la longueur d’un procès qui avait pourtant duré de longues journées.

Quand dans l’explosion finale, Frédéric Tellier insiste sur les larmes de Guy Georges et les remerciements des familles des victimes, le malaise est total. Ces deux faits sont avérés mais terriblement mal mis en scène: en faisant le choix de la pudeur au début, pour déboucher sur une confession finale surjouée, le film dénote et passe très proche du manque de respect.

L’affaire SK1” est l’exemple type du film qui fonctionne à un certain niveau, justement en appuyant sur les souvenirs d’une réalité affreuse. Mais trop froid, trop facile et trop peu critique, le long-métrage en devient sans âme, se condamnant à n’être qu’efficace que sur un seul degré.

Nicolas Marquis

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