(2013)
Réalisé par: Yamini Lila Kumar
Avec: Christophe Barbier, Benjamin Biolay, Suliane Brahim
Il fut un temps où Christophe Barbier avait le vent en poupe. Un temps où il ne faisait pas son plus bel ATR, bon à une fracture du coccyx à l’évaluation du bac, un temps où il ne s’apparentait pas au tonton boomer décalqué du monde réel que l’on croise aux repas de famille, un temps où la plupart du peuple français n’avait pas envie de serrer si fort cette écharpe rouge qui sert malheureusement d’étendard plus que de muselière. Pourtant, Christophe Barbier, bien né avant la honte (on en doutait plus désormais), n’a pas attendu de devenir star de son auto-parodie sur les réseaux sociaux pour être habité d’une crasse à faire vomir les moins bileux. Alors au sommet de sa “gloire” à l’Express et avant son invasion des plateaux de chaînes d’infos en continu, qui n’avaient alors, temps lointain, pas viré le cap à l’extrême tribord, Christophe Barbier a eu le temps de commettre un impardonnable affront au Septième Art, celui de passer devant la caméra pour semer son Doute(s).
Entendons-nous : ma naïveté m’avait poussé à croire que, malgré le risible de la bande-annonce traînant sur Youtube, Doute(s) arriverait tout de même à instiller un semblant de réflexion et de profondeur à ce qu’il apporte. Tel fut donc mon désarroi lors du visionnage,: ce produit n’est pas un film, mais un anti-film : ce n’est un objet d’art, mais une forme de perversion morale, un autel à la gloire d’un homme qui n’en mérite pas, où l’absence cruelle de profondeur (si ce n’est pour nous convaincre d’acheter des rideaux) ne fait que valdinguer une stèle ignoble. Construit sur des bases somme toute “stables” (est-il utile de préciser que la scénariste/réalisatrice de Doute(s) n’est autre que la compagne de Barbier, et qu’elle n’avait alors aucune expérience cinématographique), le film offre pourtant un terreau à l’exploration politique, aussi bien dans ces figures de proue, censées être représentées par les discussions enflammées des protagonistes, que dans les personnes qui votent et font le monde politique, c’est-à-dire Barbier et sa clique. Soit suis-je trop ignare, dans ma province déconnectée des mondains de la capitale, pour saisir toute les nuances et la profondeur du message du “film” ; soit tout ceci est traité avec un premier degré presque cynique, à base de narcissisme et de négation de toute notion humaniste. Peu importe ce qui se passe (on ne se permettrait pas de vous spoiler, malgré la tentation), l’auto-centration de nos personnages, les rendant aveugle de tout un monde, embrasse un ridicule qui les rend particulièrement abjects, surtout lorsque cela traite de la faiblesse de l’âme. Un film politique sans questionnement politique, où l’espoir de réflexions profondes sur le monde qui nous gouverne laisse place à un certain nombrilisme névrotique et au questionnement moral sur les coucheries de DSK (oui, on est aussi bas). Autour de ces bases ignobles gravite évidemment Christophe Barbier, aka Chris Bailey (quand tous ces amis portent des noms qui respirent la France, lui portent la coolitude américaine en guise de supériorité), adepte de la petite phrase saillante – on croirait une compilation No Context – et d’une capacité réflexive à faire pâlir le cliché de bourgeois-bohème qu’une bonne partie de la France rebute, sonne le creux d’un carapace égotique, portée dans une mise en scène qui en appelle au registre du film de propagande par sa manière glorifiante de filmer un “profil de canton suisse”.
Si l’on pouvait sourire du ridicule du “rap” que le chroniqueur nous offrira quelques temps plus tard, force est d’avouer Doute(s) boxe dans la catégorie au-dessus. Outre sa morale douteuse, le film a pour lui son scénario inintelligible, sa direction d’acteurs absente (heureusement que Suliane Brahim, par exemple, nous a récemment appris pourquoi elle avait fait partie de la Comédie Française dans La Nuée), et son charisme d’huître, et offre à son spectateur, dans un résultat marasmique, de la sidération et du risible. Assurément, Doute(s) répond à la définition du nanar ; profondément mauvais, il est pourtant fait avec le menton bien levé, et devient risible dans son sérieux et sa malhonnêteté déconcertante. Chacun aura son moment d’inflexion devant, son moment où l’on décide d’accepter que ces personnages, dont les actes ne seront jamais ou presque critiqué, n’ont rien de semblable à nous autres humains, et où chaque réplique devient blague et chaque scène spectacle comique, à l’exception près que les nanars ne sont habituellement pas dangereux idéologiquement.
« Rare image d’un homme osant regarder Barbier dans les yeux »
À quoi bon, me direz-vous, évoquez une oeuvre visiblement détestée et détestable ? Comme toute critique doit s’axer autour d’un point de vue, d’une réflexion, et qu’il serait absurde de ma part de ne choisir que la haine, une question s’est imposée à moi après le visionnage : pourquoi ? Pourquoi ce film existe ?
Car derrière la vanité de ces créateurs, qui, comme vous avez pu le lire, semble être une évidence, se pose la question de la place du film dans le paysage cinématographique. Car pour qu’une oeuvre existe, il faut qu’elle soit produite, qu’elle soit distribuée, qu’un groupe de plusieurs personnes travaillent à sa création et d’une certaine manière croit en son succès. Un succès qui, le cas échéant, fut nul ou tout du moins dérisoire, aussi bien d’un point de vue critique, puisque le film (entre autre) a reçu la note de 1,6/5 pour la presse sur Allociné, mais également d’un point de vue public, puisque le film, sorti dans quelques salles parisiennes avant de disparaître dans l’oubli, n’ayant jamais été édité en vidéo. Pourtant, des gens, des entreprises ont mis de l’argent, parfois des sommes qui à notre échelle individuelle sont énormes, pour les ambitions d’un couple.
Pourquoi ce film existe ? Le souci avec les élites, c’est qu’elles aient le moyen de leurs ambitions, mêmes les plus ridicules. Car lorsque l’on sait les difficultés qu’ont de nombreux jeunes cinéastes à se financer, alors que l’on voit fleurir des cagnottes pour quelques centaines d’euros, on peut s’interroger de la raison des 15 500€ d’aide à la distribution donnée par le CNC au distributeur du film, Zelig Films (soit un peu plus de 15% de leur chiffre d’affaires). Doute(s), dans une nouvelle couche de dégoût, semble être une preuve du copinage des hautes sphères, dans un projet ici fait pour satisfaire des idées plus que pour en proposer de nouvelles.
Doute(s) est finalement ce portrait sociologique de fond et de forme de la bourgeoisie ; il est un témoin historique (et patrimonial en ce sens) d’un système tellement aveuglé par lui-même qu’il provoque sa propre parodie, sans remise en question et sans doutes. Et nous, spectateurs, presque prolétaires, assistons à cette propagande idéologique aux relents de fosse septique, en nous demandant : pourquoi ce film existe ? Si Doute(s) pouvait servir à quelque chose, c’est peut-être bien de faire le constat qu’une frange du monde cinématographique tourne en vase clos, en tout impunité et sans conséquences, pour nous offrir parfois ce genre d’attentat à l’art. Il faut quand même noter que si le ridicule ne tue pas (l’inverse aurait sûrement arrêté le massacre à la première scène), il pousse au moins ici au rire, tant les profondeurs morales atteintes par le film touche à n’en pas douter au sublime du bal des horreurs. On essayera de garder tant bien que mal ces deux leçons de ce “film”…
Doute(s), ou la plongée dans le fond des égouts du cinéma français. Un voyage loin de la lumière de la morale et du bon goût, pour un résultat risible et abject…