(Cross of Iron)
1977
réalisé par: Sam Peckinpah
avec: James Coburn, Maximilian Schell, James Mason
Le septième art, c’est parfois un geste de courage pour affirmer une vision artistique particulière. En nous plaçant dans les tranchées allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale, “Croix de fer” n’en manque pas. Comment susciter l’adhésion et l’identification du public en étalant des hommes souvent imposés par le cinéma en antagonistes? Peut-être justement en bouleversant ce dogme: le long-métrage remet les pendules à l’heure et rappelle que le conflit armé fut livré par des gens simples qui n’avaient pas forcément d’accointances avec le régime nazi. Plus fort encore, “Croix de fer” utilise ce contexte politique particulier pour schématiser encore un peu plus son propos, en proposant des personnages plus ou moins fanatiques. Si la pellicule n’est pas parfaite, son audace est saluable.
“Croix de fer” c’est le destin croisé de deux soldats: le sergent Steiner (James Coburn), une légende des champs de bataille aux exploits retentissants et à la compassion affirmée, et le capitaine Stransky (Maximilian Schell), son supérieur obsédé par l’obtention d’une médaille qui démontrerait son courage alors qu’il vit planqué dans les bunkers pendant que dehors, l’enfer se déchaîne. C’est donc toute une définition de l’honneur que nous livre Sam Peckinpah avec ce film, la vision d’un monde apocalyptique où les distinctions ne sont que des breloques vides de sens. Il nous propose sa vision du courage avec beaucoup de fatalisme, comme un concept idiot et irréaliste en temps de guerre, noyé dans le sang et la boue.
Pour délivrer son message, le cinéaste s’appuie essentiellement sur ses deux acteurs principaux. D’un côté, un James Coburn complètement envoûtant et magnétique qui éclabousse le film de son talent. Il est imposé par Peckinpah comme un juge moral, le mètre étalon de la bravoure, une figure presque métaphorique et contradictoire qui démontre l’absurdité de la notion de mérite alors que la mort est partout. Perpétuellement, il se heurte à sa hiérarchie de manière presque anarchique. Steiner est humain et c’est un tour de force de Peckinpah d’affirmer un soldat allemand comme modèle.
« Papier! »
Plus à côté de la plaque nous est apparue la performance de Maximilian Schell. Pour se hisser au niveau de Coburn, l’acteur semble en continuel surjeu, trop caricatural. Certes, il incarne les hauts gradés dans ce qu’ils ont de plus détestable: les lâches, les planqués, les arrivistes. Mais tout de même, le scénario pouvait justifier un peu plus de retenue dans sa performance.
Pris en étau entre ces deux figures, des hommes simples qui se font peu d’illusions sur leur sort à long terme alors que l’armée russe roule sur leurs positions. Des anonymes qui vivent dans la misère et la mort omniprésente. Avec une maîtrise certaine, Peckinpah affirme le besoin de chaleur humaine de ces soldats. Une accolade, des femmes au milieu du champ de bataille, un enfant perdu: autant d’éléments qui rappellent que les combattants sont des êtres comme nous, perdus dans l’horreur.
Le cinéaste affirme également la mentalité rare qu’il faut posséder pour être un soldat épanoui. C’est dans l’infamie que poussent les “Croix de fer” et seule une poignée de soldats, comme Steiner, y trouve leur place. “Son monde”, affirme le personnage de James Coburn, un enfer sans morale dans lequel le renoncement des principes est parfois indispensable.
Mais malheureusement, toute cette démonstration intéressante va être contrariée par une série de défauts assez visibles. Prenez les scènes de combat par exemple. Intelligemment, Peckinpah va trouver un souffle épique dans des séries de ralentis qui font de Steiner et de ses hommes des personnages iconiques, mais cette belle idée va être contrariée par l’avalanche d’explosions qui vire par moment à la bouillie dure à suivre. On comprend l’intention du cinéaste: restituer l’enfer. Si on adhère à cette volonté, l’exécution reste bancale d’un point de vue concret.
Par ailleurs, certaines séquences s’enchaînent assez mal. Si la scène de l’hôpital est bien pensée, celle où le bataillon de Steiner se retrouve piégé derrière les lignes ennemis est plus anachronique, forcée même. Ce manque de cohérence dans l’assemblage va être cristallisé dans une fin qui laisse perplexe: on a eu l’impression assez tenace que le film passait à côté de sa conclusion en tentant de nuancer son propos avec peu de maîtrise.
“Croix de fer” est bourré de bonnes intentions et de réflexions pertinentes, mais certains écueils de réalisation le condamnent à rester un film relativement anecdotique. Dommage.