
2020
réalisé par: Derek Cianfrance
avec: Mark Ruffalo, John Procaccino, Rob Huebel
Régulièrement, le network américain HBO nous gratifie de quelques mini-séries événements. C’est en général l’occasion de faire la part belle à certains grands noms du cinéma débarqués sur le petit écran, comme dans “Show Me A Hero” par exemple qui offrait une partition parfaite à Oscar Isaac dans un drame social sur lequel on reviendra un jour (c’est une promesse). “I Know This Much Is True” s’inscrit dans cette continuité et entend offrir un double rôle à Mark Ruffalo, celui de deux frères jumeaux aux caractères différents. De quoi éveiller notre curiosité de cinéphiles et sériephages pour vous offrir nos réflexions autour d’une oeuvre aussi touchante que cohérente.
L’histoire de Dominick et Thomas, deux jumeaux donc, à la trajectoire différente. Le premier est sain d’esprit alors que le second est frappé par la schizophrénie qui le condamne à un existence en milieu hospitalier. Alors que Thomas se tranche la main dans un instant de folie pure, Dominick va tout faire pour que son frère sorte d’un hôpital psychiatrique de haute sécurité mortifère. Au fur et à mesure de cette bataille administrative, les origines et l’enfance des deux jumeaux, vécues à travers de nombreux flashbacks, vont faire apparaître ressemblances et différences entre ces deux frères aux caractères fatalement opposés.
Pour ce drame familial, le réalisateur Derek Cianfrance va s’appuyer sur une mise en images relativement académique. Pas de grandes folies visuelles mais plutôt une certaine forme de sobriété bienvenue et une façon de laisser traîner sa caméra sur le visage de Mark Ruffalo pour mieux en capter les nuances dans le jeu d’acteur.
La vraie originalité de la série réside dans sa chronologie complètement éclatée mais qui tisse un fil narratif clair. Narré par la voix envoûtante de Mark Ruffalo, on passe du présent si tragique à l’enfance complexe de ces deux frères qui ne connaissent pas leur père. Une façon agréable de trouver du rebond dans le récit mais également une manière d’apporter du rythme à l’ensemble. C’est à travers ces flashbacks qui remontent même jusqu’au grand-père de nos héros, un immigrant italien qui sert d’amorce pour une critique sur le mélange culturel complexe des USA, que la série tisse son propos simple mais sophistiqué.
« I Know This Much Is True” impose également une ambiance planante ponctuée par des scènes chocs souvent inopinées. On navigue dans la sphère intime de la psychée de Dominick et son sentiment de responsabilité vis-à-vis de son frère avec douceur et subtilité, puis sans crier gare, la série va régulièrement jouer de la surprise pour ponctuer un script presque parfait.

« Vous pouvez reprendre une bière, vous ne voyez pas double »
Forcément, en lui offrant un double rôle, “I Know This Much Is True” fait la part belle au talent d’acteur de Mark Ruffalo. Il réussit ici à nous faire admettre cette double casquette sans que jamais on ne confonde les deux jumeaux. On connaît le talent de caméléon de Ruffalo, qui reste Hulk pour le grand public mais qui représente tellement plus pour les cinéphiles comme nous. À chacun de ses films, il offre une performance unique et ici, il réussit parfaitement l’exercice de style du dédoublement. Une vraie prouesse.
Sans doute grâce à son format plus imposant qu’un film, la série réussit parfaitement à restituer la maladie mentale de Thomas. Elle lui trouve des origines profondes sans jamais affirmer clairement de responsable aux différentes manifestations de la schizophrénie. Pas de raccourci facile, pas de remède miracle, et surtout pas de complaisance envers les hôpitaux les plus glauques, “I Know This Much Is True” réussit à nous embarquer émotionnellement tant il colle à une triste réalité. Un sujet sur lequel vos Réfracteurs sont toujours très pointilleux et qui est ici intelligemment avancé.
Comme la série l’affirme clairement, en présentant deux jumeaux, on ressent cette impression que Dominick est un double sain d’esprit de Thomas. Bien sûr, le premier n’est pas totalement parfait et a connu nombre d’épreuves qui le font peu à peu couler, mais la schizophrénie du second propose une asymétrie plus que pertinente quant à ces deux personnages. Cette idée que Dominick est la version globalement saine de Thomas est un vrai moteur de narration qui sert sans cesse de rebond à la série.
Mais à plus forte raison, ce sont les démons de l’Amérique qui sont parfaitement cristallisés par la fureur de Thomas. Les voix qu’il entend mettent en évidence la partie trop importante qu’occupe la religion dans un pays où on jure sur la Bible. Autre exemple: son obsession pour la guerre du Golfe (le présent de la série est l’année 1990) qui traduit l’esprit “va-t-en guerre” des États-Unis pour le critiquer intelligemment.
Cette désillusion des valeurs américaines est partout, et encore plus lorsque la série va aborder le passé du grand-père de nos héros. Le système de santé est complètement déconnant, la culture capitaliste totalement déboulonnée par les préoccupations plus importantes de Dominick, l’insertion des migrants remise à plat pour y porter un oeil critique. Mais c’est surtout évidemment la famille modèle, socle de nos sociétés modernes, qui est la plus chahutée.

“I Know This Much Is True” est une série parfaitement pensée qui ne tombe jamais dans le misérabilisme mais qui ne cesse d’amener des axes de réflexions toujours pertinents.