Demon Slayer (Saison 1)

(Kimetsu No Yaiba)

2019

de: Haruo Sotozaki

avec: Natsuki HanaeAkari KitôHiro Shimono

C’est assis en tailleur que se présentent devant vous Les Réfracteurs. Devant nous, un rouleau de toile finement tissée, un encrier, et un long pinceau. Calmement, nous remplissons nos poumons d’une inspiration lente et profitons du silence pour nous concentrer: le premier trait est parfois le plus important. Un à un, les caractères apparaissent à grands gestes rapides mais appliqués, tels des coups de katana qui pourfendent l’air: 鬼滅の刃. Phonétiquement “Kimetsu no yaiba”, traduisible littéralement par “La lame du tueur de démons”, mais plus connu dans nos contrées sous le nom de “Demon Slayer”. C’est le phénomène manga de ces derniers mois au Japon, détrônant un par un des records établis par One Piece, que l’on pensait indéboulonnables pour encore longtemps. Comme souvent au Pays du soleil levant, succès sur papier implique une adaptation en animé, et c’est donc naturellement que nous vous proposons aujourd’hui notre avis sur la première saison de cette série dont la popularité ne cesse de grimper en flèche.

Si nous nous sommes permis cette introduction un poil exagérée (il faut dire que nous avons essayé les coups de pinceau sur notre écran d’ordinateur en vain) c’est parce qu’avec “Demon Slayer” le choc est avant tout visuel. On commence en douceur durant les premiers épisodes, et pourtant on se délecte déjà des premiers panoramas que nous offrent les décors. La série s’approprie magnifiquement les paysages japonais traditionnels, aussi bien que les dédales urbains d’un Tokyo en pleine industrialisation. On trouve bien par endroits une 3D qui fait un peu tâche, et parfois même injustifiée, mais ce défaut s’estompe au fur et à mesure des épisodes, et n’empêche pas la contemplation calme sur des airs musicaux savoureux. Une patte qui s’oppose efficacement au côté malsain des démons, et aux gerbes de sang qui émaillent l’histoire. “Kimetsu no yaiba” n’est clairement pas pour les enfants.



Mais là où “Demon Slayer” va sauvagement nous trancher la rétine, c’est lorsque l’action atteint son sommet. Les combats entre démons et pourfendeurs, deux groupes qui s’opposent et dont nous détaillerons les enjeux de leur guerre millénaire un peu plus loin, profitent d’un rendu visuel fort, inoubliable. Au bout de quelques épisodes, et après un entraînement en bonne et due forme, notre héros va maîtriser les pouvoirs de l’école de l’eau, et chaque technique de sabre s’accompagne d’un effet graphique complément enchanteur. Derrière le tranchant de la lame, le rendu aquatique nous rappelle les estampes japonaises d’époque: si les contours sont globalement assez marqués dans “Demon Slayer”, c’est dans ces moments particuliers que l’on va ressentir une sensation proche du cell-shading de Ōkami à son époque. Une patte graphique qui n’est pas réservée au héros de l’animé, mais qui trouve écho tout au long de la série, suivant les différents protagonistes. En un mot: somptueux. 

S’ajoute à cela une véritable science du combat: souvent sur plusieurs fronts, les affrontements profitent d’une parfaite mise en scène, sans temps morts, un écueil pourtant commun aux productions japonaise passées. Ici, on ne détaille pas longuement chaque élément pour préserver le tranchant de la série. De belles notions aériennes pointent même le bout de leur nez quand au hasard d’un coup, pourfendeurs ou démons volent dans les cieux. En addition enfin, les pouvoirs propres aux différents héros et antagonistes de la série: chacun possède ses propres techniques et régit donc les combats selon des règles différentes. Un renouveau constant et bienvenu dans l’action qui transforme la série en œuvre ludique.

C’est bien vu car sans cela, le pitch de “Demon Slayer” pourrait sembler très légèrement commun. Dans ce japon uchronique de l’ère Taishō, pourfendeurs et démons sanguinaires s’affrontent depuis des siècles. Tanjirō, un fils de vendeur de charbon, retrouve un jour les restes de sa famille encore fumants alors qu’il rentre de ses corvées habituelles. Penchée sur leur corps, sa soeur Nezuko transformée en l’un de ses monstres sans pitié. Après avoir maîtrisé sa cadette avec l’aide d’un pourfendeur, Tanjirō va découvrir qu’elle semble se démarquer des autres démons, en affichant une résistance peu commune à la soif de sang humain qui rend folles ces créatures malsaines. Dès lors, notre héros va emprunter la voie des pourfendeurs dans l’espoir de trouver un remède pour Nezuko.

Demon slayer illu

« Quand on vous dit que visuellement ça tue la gueule! »

Un résumé un peu classique donc, mais qui réussit à trouver du rebond pendant toute la saison. La plupart des épisodes apporte une nouvelle touche d’originalité narrative salvatrice: on propose perpétuellement de nouveaux éléments, ou des nuances jusqu’alors inédites, pour maintenir l’intérêt du spectateur. Un peu trop même durant la première moitié de la saison, qui demande une attention de chaque instant. Un effort de concentration qui sera moins contraignant par la suite, une fois la hiérarchie des pourfendeurs bien délimitée, et le panthéon des démons affirmé, avec à sa tête le terrible Muzan.


 

L’opposition de ces deux camps est l’une des forces de l’animé. Chacune de ses deux organisations est suffisamment fouillée pour être admissible, et on ne verse pas dans un manichéisme trop voyant. Certes, il reste les bons d’un côté, et les méchants de l’autre, mais on découvre rapidement que tous les démons ne sont pas assouvis par Muzan et que certains résistent à leurs bas instincts, ou bien que même ceux qui ne peuvent pas s’émanciper du maître sanguinaire trouvent des motivations fouillées dans leur déchéance. Mais on caractérise également les pourfendeurs comme des êtres froids et cruels malgré leur mission salvatrice. Qui plus est, le placement chronologique de l’histoire (l’ère Taishō si vous nous suivez bien) est intéressant à plus d’un égard. Déjà parce que c’est une période d’ouverture culturelle du Japon à l’Occident, et inversement. Mais aussi car paradoxalement, cette ère précède le terrible règne de l’empereur Hirohito qui se poursuivra notamment pendant la Seconde Guerre Mondiale. De là à voir chez les démons un symbole du fascisme qui commence à apparaître dans le pays, il n’y a qu’un pas que le spectateur peut franchir ou non, selon son interprétation.


 

Le seul défaut majeur de “Demon Slayer” est selon nous chez les personnages secondaires qui vont suivre notre héros pour former un trio de pourfendeurs. Ces deux comparses, on les a vus et revus des milliers de fois: l’un est une brute épaisse, coiffée d’une tête de sanglier, qui tranche d’abord et réfléchit ensuite. Passe encore. L’autre est un peureux (et légèrement obsédé) qui geint sans cesse, et là on est beaucoup plus sceptique: Zenitsu (puisque c’est son nom) casse complètement l’unité de ton de la série, qui d’un coup tente des percées d’humour qui dénotent totalement. D’une façon plus générale, “Demon Slayer” se réfugie dans la rigolade pour affirmer la cohésion du groupe autour de Tanjirō. Trop facile, trop bâclé, et presque inutile, il faut savoir passer outre ces bouffonneries pour savourer pleinement “Kimetsu no yaiba”.

8000

Son titre d’incontournable du moment, “Demon Slayer” ne l’a pas volé. Que l’on cherche une action effrénée ou une histoire fouillée en constante évolution, l’animé remplit parfaitement les deux contrats. Il se permet même des rendus visuels à couper le souffle. Pour peu que l’on passe sur les quelques erreurs minimes et malheureusement assez récurrentes du genre, c’est un véritable petit plaisir à chaque épisode qu’offre “Kimetsu no yaiba”.

Spike

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