Tastr Time: Le garde du corps

(Yojimbo)

1961

Réalisé par: Akira Kurosawa

Avec: Toshirô MifuneEijirô TônoTatsuya Nakadai

Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Le garde du corps” de Akira Kurosawa.

Qu’est ce qui fait un grand film d’aventure? Il serait réducteur de penser qu’un long métrage d’action ne s’évalue qu’à la lumière de ses scènes de castagne. C’est davantage une ambiance qui s’affirme, un état d’esprit qui flirte avec la caricature tout en restant dans le domaine de l’admissible, en équilibre. C’est avec cette idée en tête que porter un regard historique sur ce genre cinématographique devient pertinent, en se replaçant dans le contexte de l’époque pour tirer les leçons des grandes œuvres passées. Exemple aujourd’hui dans ce Tastr Time avec “Le garde du corps” (souvent appelé par son nom japonais “Yojimbo”) d’un de nos réalisateurs fétiches: Akira Kurosawa.

L’installation scénaristique du maître est assez claire: du temps du Japon féodal, un village se déchire entre l’influence de deux clans rivaux qui se disputent la domination sur le territoire. Arrive un samouraï solitaire nommé Sanjuro (Toshiro Mifune) qui oscille entre les deux factions en fonction de la rémunération. Toutefois, on va rapidement comprendre que ce mercenaire est plutôt un justicier qui cherche à mettre un terme définitif aux combats. Cette histoire vous la connaissez peut être déjà, “Le garde du corps” est tout simplement l’œuvre originale qui inspirera très fortement le “Pour une poignée de dollars” d’un autre nabab du cinéma, Sergio Leone, dans une bataille de droits d’auteur qui n’honore pas les occidentaux mais qui prouve la magnitude qu’à eu la proposition de Kurosawa.

Le garde du corps” c’est avant tout un décors minimaliste, une page blanche sur laquelle Kurosawa peint en noir et blanc. Un simple ruelle bordée de maisons et l’intérieur d’une auberge constituent l’essentiel de l’espace du film, ce qui donne au long métrage de faux airs de tragédie au sens premier du terme. On y voit une volonté de rester très schématique de la part du cinéaste, d’aller droit à l’essentiel pour donner un peu plus de stature à ses personnages.

« Une question? »

Un charisme appuyé par un jeu de surcadrage omniprésent. Innombrables sont les scènes où Sanjuro observe les luttes de pouvoir à travers la fenêtre de l’auberge. D’un côté, ce processus qui enferme les protagonistes dans l’image leur donne une ampleur supplémentaire, d’un autre les barreaux qui ornent la fenêtre rappellent intelligemment le danger et la peur dans lesquels vivent les habitants.

La malice visuelle va de paire avec une science du rythme quasi parfaite dans “Le garde du corps”. C’est peut être là que se joue le plus important dans un film d’aventure, pour répondre à notre question initiale. Kurosawa construit des attentes qu’il récompense parfois, frustre à d’autre moment. Le cinéaste manipule le spectateur grâce à un déroulé millimétré. Les scènes de pugilat sont finalement peu nombreuses mais leur impact est total, et ce même malgré l’épreuve du temps que doit forcément affronter un film de 1961.

Kurosawa apparaît également virtuose dans le contenu de son script. “Le garde du corps” démarre dans une impasse mais réussit toutefois à imposer une certaine montée en régime des rivalités. On regrettera peut-être juste la confusion qui existe pour parfaitement identifier les dirigeants de chaque clan. Sanjuro navigue tellement entre les deux camps que certains personnages sont parfois confus à situer, contrairement aux combattants tous marquants.

Mais bien sûr, le plus classe de tous ces hommes prêts à en découdre reste Toshiro Mifune, éternel acteur fétiche de Kurosawa, ici parfaitement servi par le scénario. Sanjuro est le héros absolu, l’idéal de bravoure et de ruse, mais aussi un homme un peu cynique. Grâce à d’excellents dialogues, on voit clairement la parenté qui existe entre lui et d’autres grandes figures du genre. Indiana Jones par exemple joue un peu dans la même cours moralement et cela n’a rien d’étonnant quand on sait l’admiration de Spielberg et Lucas pour Kurosawa.

Très subtilement le cinéaste va proposer des axes de réflexions un peu plus larges. La place d’un garde du corps et de sa déontologie sont par exemple questionnés. Comment exécuter des ordres cruels lorsqu’on n’y souscrit pas forcément? La réponse de ce dilemme du mercenaire se situe le plus visiblement à la fin du film alors qu’un belligérant se décrit comme “nu sans son arme”. Dans la même veine, une véritable critique des « profiteurs de guerre” plane sur “Le garde du corps”. Kurosawa crache sur ceux qui s’épanouissent des conflits armés sans se cacher. Mais pour être honnête, le long métrage n’est pas le plus profond des films du réalisateur et tant pis! Savourons pour une fois un divertissement efficace qui reste au panthéon du genre qu’il a transformé.

C’est un Kurosawa habité d’une volonté de divertissement que nous propose le Tastr Time. Une œuvre ludique et jouissive qui récompense les attentes des spectateurs.

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

Laisser un commentaire