(Badlands)
1973
réalisé par: Terrence Malick
avec: Martin Sheen, Sissy Spacek, Warren Oates
Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “La balade sauvage” de Terrence Malick.
Il est toujours intéressant de constater une certaine récurrence dans les figures que nous impose le septième art. C’est parfois un enquêteur taciturne, parfois un bandit qui amasse la richesse ou encore un cowboy mystérieux: tous ces personnages sont dans un imaginaire collectif qu’on partage. Parmi eux, le couple de hors-la-loi est bel et bien présent. De “Bonny & Clyde” à “Tueurs nés”, c’est régulièrement que le cinéma recycle les amants terribles pour offrir une nouvelle vision de la société et de tous ses travers. On s’attarde aujourd’hui sur “La balade sauvage”, l’essai de Terrence Malick dans ce domaine.
L’histoire simple et claire de Kit (Martin Sheen), un éboueur aux faux airs de James Dean et de Holly (Sissy Spacek), une lycéenne. Tous deux vont nouer un amour étrange l’un pour l’autre alors qu’ils prennent la fuite après le meurtre du père de la jeune fille des mains de Kit et tandis qu’ils empilent toujours plus de cadavres sur leur passage.
En évoquant le nom de Terrence Malick, on associe immédiatement une forme de narration clivante qui ne saura contenter tout le monde. À intervalles réguliers, les pensées des personnages (Holly en l’occurrence) sont retranscrites in-extenso par une voix-off omniprésente. Ce style, le cinéaste l’a utilisé presque à chacun de ses films, mais il est intéressant de noter que “La balade sauvage” est le premier long-métrage du cinéaste et que ce procédé n’est pas encore aussi pompeux qu’aujourd’hui. Ce que certains considèrent parfois comme un aveu de faiblesse du réalisateur quant à la mise en images apparaît ici adouci, admissible même.
Cela tient sûrement au fait que le tandem d’acteurs de “La balade sauvage” est en parfaite harmonie, se répondant sans cesse l’un à l’autre. Deux personnages idéalement incarnés par Martin Sheen et Sissy Spacek qui se complètent sublimement. La folie des grandeurs de Kit est en permanence contrebalancée par la vision des événements de Holly, donnant un écho différent aux agissements du jeune homme.
Mais on ne saurait réduire l’impact du film au seul talent de ses comédiens: l’oeuvre est finement travaillée et offre des personnages qui trouvent un écho tout particulier dans l’époque qui est la leur. D’un côté un beau gosse des vides-ordures, condamné à une vie de misère, d’un autre une jeune lycéenne débrouillarde en rupture avec son milieu. Deux laissés pour compte de la société qui s’éprennent l’un pour l’autre avec naturel.
« Ouais ben là c’est facile hein! »
Peut-être la performance de Martin Sheen est la plus marquante des deux: il incarne à lui seul toute une image de l’Amérique défaillante de ces années et son côté prétentieux allié à son penchant pour les armes à feu sont comme des reflets déformés d’un rêve américain en décrépitude. Cette thématique va être au centre du film et la fuite des valeurs d’une société décadente l’axe central du film.
Car si on prend autant en pitié ces deux anti-héros, c’est probablement justement parce que la société ne leur a jamais fait de place. D’un côté un simple éboueur en perpétuelle recherche de plus de gloire, de l’autre une jeune fille déjà enfermé dans un carcan patriarcal: toute la problématique de l’Amérique de l’époque habite les tristes protagonistes du long-métrage.
Pour appuyer cette démarche de désacralisation des USA, Malick va intelligemment détourner les symboles patriotiques les plus solidement ancrés. James Dean on l’a évoqué, mais aussi les cowboys et également le grand banditisme sont autant de repères habituels au cinéma dont le cinéaste fait une critique intéressante. Impossible de déconstruire sans être exhaustif et Malick l’assimile pleinement pour ce film là du moins, alors qu’il aligne les décors de ruines.
Dans la triste architecture proposée par le réalisateur, la nature fait office de refuge. Jamais nos héros ne sont aussi heureux que lorsqu’ils parviennent à vivre en autarcie. Un constat bien pessimiste de la part de Malick qui semble appuyer la thèse que pas de société vaut mieux que la décadence perpétuelle qui entoure nos deux protagonistes. Une fois de plus, c’est une façon de détruire l’”American Dream” tel qu’on nous l’a vendu.
Que reste-t-il de ses personnages dans ce contexte? Et bien justement, on se raccroche à l’envie constante de Kit de laisser une trace derrière lui. Bien évidemment, lorsque le jeune homme propose à sa compagne de s’écraser mutuellement la main sous un rocher pour se souvenir de leur premier baiser, on comprend que ce personnage est tordu. Soit, mais il n’en reste pas moins que régulièrement, il va imposer cette envie de s’inscrire dans l’Histoire et ce jusqu’à la toute fin d’un film qui conserve son souffle grâce à la pertinence de son écriture.
Si vous êtes réfractaires au style de Terrence Malick, c’est probablement le film le plus accessible de sa filmographie qu’on critique pour vous. Une vision des USA désabusée mais pleine de pertinence: de quoi faire un détour vers une œuvre intelligemment construite.