(Unhinged)
2020
réalisé par: Derrick Borte
avec: Russel Crowe, Caren Pistorius, Gabriel Bateman
Te voilà paraître devant moi à nouveau, ennemi juré de ma cinéphilie, Nemesis de ma passion. Entre ici avec ta ribambelle de casseroles filmiques, toi, Russell Crowe! Et oui, inutile de le nier, chaque passionné de septième art a dans son cœur une tête de turc, un artiste dont on redoute la prochaine œuvre à chaque annonce. Pour moi, Spike, c’est l’ami Russell. Oh calmez-vous, on entend déjà la cohorte de ses défenseurs qui monte au créneau: on ne nie absolument pas les quelques chef-d’œuvres de sa filmographie dans lesquels il est souvent saisissant. Restez donc sereins les fans de “Gladiator”, on ne va pas débiner bêtement ses plus belles performances mais reconnaissez au moins que ces dernières années, RC a plutôt tendance à apparaître dans des croûtes infâmes que dans des films cultes. Toutefois, on vous interdit de dire que les Réfracteurs sont réfractaires: lorsqu’on se penche sur un film, peu importe le casting, on lui donne sa chance. Bien, ceci dit, “Enragé” va tout faire pour ne pas la saisir.
L’histoire est simple (voire simpliste): Rachel (Caren Pistorius) est une mère célibataire qui a du mal à jongler entre sa vie de famille, son métier et son divorce. Un peu agacée par ce qui s’annonce comme une journée de merde et par les bouchons, elle va klaxoner avec un peu trop d’insistance une voiture qui n’avance pas à un feu vert. Pas de pot, dans cette voiture, il y a Russell, apparemment un peu trop friand de Big Mac, qui va péter un plomb devant le manque de courtoisie de Rachel et qui va la traquer, elle et sa famille, pour se venger froidement et dézinguer tout ce qui bouge sur son passage, histoire de faire comprendre à notre héroïne ce qu’est vraiment une sale journée.
“Enragé” tente donc de jouer sur une peur du quotidien en avançant une situation initiale qu’on a presque tous vécu. L’intention de faire surgir des embouteillages un antagoniste pervers et sanguinaire apporte son lot de pétoche et on pense légitimement que dans les jours qui suivent le visionnage, les spectateurs-conducteurs feront preuve de savoir-vivre au volant. La démarche n’est pas idiote, elle parle au public, mais la manière d’installer ce pitch est elle bien trop grotesque. Tout repose sur ce revirement, ce moment où le train-train quotidien bascule dans l’horreur et rien dans la mise en scène n’amorce ce changement efficacement. Russell Crowe arrive tel un cheveu sur la soupe de manière un peu trop forcée.
« Donuts Time! »
Au passage, on souligne le manque d’originalité flagrant du scénario. Un mec qui pète les plombs dans les embouteillages, c’est franchement déjà vu: c’est exactement le postulat de départ de “Chute libre” de Joel Schumacher. Alors pour être honnête, on imagine qu’il s’agit presque d’un clin-d’œil plutôt que d’un plagiat mais le manque d’originalité pénalise l’ensemble. Notez d’ailleurs une bonne nouvelle si vous vous rendez bientôt aux USA: les embouteillages ne durent qu’un quart d’heure au pays de l’oncle Sam, passé ce délai, la route est libre pour ceux qui sont lancés dans une course poursuite infernale.
Ça peut sembler anecdotique, mais cet écueil du scénario traduit avec force le plus gros défaut du film: “Enragé” est écrit avec un désintérêt criant et le moins de réflexion possible. Ce sentiment, il est conforté dans la manière dont l’œuvre nous affuble de Russel Crowe. Le film transforme un homme qui a tout perdu professionnellement et personnellement et l’impose comme un danger public. Le problème, c’est que jamais le long-métrage ne tente une réflexion plus dense autour de la société et ça suffit pour qu’”Enragé” devienne un peu douteux dans sa démarche.
C’est d’autant plus dissonant qu’en face de Russel Crowe, on installe là aussi un personnage du bas de l’échelle avec Rachel, cette mère qui galère. Une héroïne forte face à l’adversité, on est plutôt preneur, mais pourquoi la confronter à quelqu’un de proche d’elle socialement. Tout simplement parce qu’“Enragé” se dédouane totalement de tout fond plus réfléchi dans son histoire. Le film n’est pas malhonnête, il est juste idiot.
C’est également traduit par les voitures qui s’opposent dans le long-métrage, et qui sont presque un prolongement des protagonistes. Rachel conduit une vieille guimbarde un peu pourrie: on comprend, c’est logique, presque bien vu. En face d’elle, Russel Crowe, un autre démuni est au volant…d’un pick-up flambant neuf! On comprend que le cinéaste Derrick Borte a aimé “Duel” de Spielberg et qu’il a voulu imposer deux véhicules que tout oppose, mais une fois de plus, dans le message que voudrait délivrer le film, ça n’a aucun sens.
En termes de réalisation, c’est encore plus vide: Borte n’apporte aucune idée dans sa mise en scène et se contente de se reposer sur des surenchères gores idiotes et sur des “fusils de Tchekhov” complètement téléphonés. Quand une œuvre bâcle autant sa phase d’installation, tout le reste est condamné au naufrage. Désolé Russell, la rédemption attendra.
Circulez, rien à voir. “Enragé” tente de faire la révérence à des œuvres que Derrick Borte semble ne pas avoir comprises et se perd dans une grammaire simpliste et douteuse.