Il existe une tradition si fermement ancrée chez DC Comics qu’elle perdure depuis des dizaines et des dizaines d’années: le sidekick. Ce partenaire, qui accompagne inlassablement notre héros dans ses plus dangereuses missions. Une pratique si arbitrairement appliquée que presque chaque parangon de justice du DCverse se voit accompagné de sa juvénile contrepartie: Superman a son Superboy, Batman a son Robin, Flash a son Kid Flash….
Si à la base les sidekicks sont là pour répondre à une contrainte commerciale, celle de toucher un public de plus en plus jeune, ces partenaires ont aussi une tradition d’émancipation avec les années qui leur permet, à eux et à leur modèle, de gagner en profondeur. On pense notamment au premier Robin, Dick Grayson, qui s’éloignera de Batman avec les années, pour devenir Nightwing, un personnage central du panorama DC. On pourrait aussi évoquer Wally West, aka Kid Flash qui portera une longue période le costume du bolide écarlate après que Barry Allen se soit (encore) perdu dans la speed force.
Des récits parfois très crus. Roy Harper, aussi connu sous le nom de Speedy, l’acolyte de Green Arrow, passera par exemple par l’enfer de l’addiction avant de se détacher de son modèle lui aussi. Une pratique si répandue que la noble Justice League trouve toujours son équivalent adolescent dans l’écurie DC, avec les Teen Titans.

« L’enfer de l’adolescence »
Mais si ce procédé d’écriture un peu facile est autant accroché aux héros de la “Distinguée Concurrence”, on ne peut pas en dire autant des Super-Vilains. Il existe bien quelques essais ici et là, mais globalement, on a pas souvenir d’un Kid Zoom ou d’un Lutherboy. Voilà déja un point unique chez Harley Quinn, celui d’être le faire-valoir d’un des pires criminels de Gotham.
Un autre point qui rend Harley Quinn si spéciale dans le coeur des fans de DC, ce sont ses origines éditoriales: c’est en effet un des seuls personnages a avoir d’abord été créé pour la télévision, pour ensuite être intronisé dans le DCverse papier. Et pas pour n’importe quelle série, puisqu’elle apparaît dans le Batman animé de Bruce Timm, celui-là même qui a accompagné tant de Nesquik des enfants des années 80/90.
Et par devoir de mémoire, on rappelle à ceux qui l’aurait oublié que cette itération de Batman n’est pas vraiment adaptée aux plus jeunes bambins. Elle porte une ambiance pesante, noire et collante comme de la mélasse, dans lequel le Joker explose de cynisme.
Harley Quinn n’est d’ailleurs pas un faire-valoir ordinaire, tant elle apporte une dimension supplémentaire au Joker. Jugez vous-même: une jeune diplômée de psychologie, spécialisée dans le domaine criminel succombe à une fascination dévorante pour le plus connu des criminels d’Arkham. Au fur et à mesure de leur entretien, c’est par la perfidie sans faille du Joker à manipuler le langage que Harleen Quinzel basculera dans la folie et le crime.

« avouez qu’on est assez loin du résultat actuel »
Son design est d’ailleurs aux antipodes de son style actuel: un arlequin sinistre, tout de blanc, noir et rouge. Harley Quinn va garder cette ligne de conduite pendant quelques années, et on savoure son humour noir et son cynisme autant que ceux du Joker, seulement voilà
Chez Marvel, le concurrent de toujours, un (anti)héros va lui aussi connaître une transformation en profondeur: Deadpool. Las de tenter de donner de la profondeur à son personnage, Marvel va réorienter le mercenaire de son panel vers un genre plutôt différent. Celui de l’humour potache et crasseux, fleurant bon le pipi-caca-prout
Une ligne éditoriale assez proche de ce que donneront les films Deadpool. Si l’on n’épiloguera pas sur la qualité des deux films, charge à vous de délimiter dans votre appréciation de l’art, humour gras et putasserie. Car clamons-le haut et fort, Les Réfracteurs n’ont aimé aucun des deux Deadpool, mais jamais on ne nous reprochera de ne pas savourer les plaisanteries, les grivoises et la rigolade facile
On sait la porosité incroyable qui existe chez les deux éditeurs. Certains personnages sont proches du copié-collé: Deadpool, pour reprendre directement le premier exemple ci-dessus, a plus d’une similarité avec Deathstroke. Aquaman et Namor ont eux aussi un adn proche. On pourrait même argumenter sur les similitudes entre Bruce Wayne et Tony Stark
Par le dollar alléché, DC va tâtonner un moment avant d’appliquer la méthode Deadpool, dans un premier temps essentiellement dans sa série Suicide Squad. Et si parfois les planètes s’alignent pour donner naissance à des chef-d’oeuvres, le même soleil brille sur les étrons, et 2016 ne fera pas de différences
Si les publications papier vont bon train, la guerre de l’humour sous la ceinture va se livrer au cinéma. La même année vont s’affronter sur grand écran Deadpool et Suicide Squad. Si la critique n’épargne aucun des deux, Deadpool va jouir d’une popularité quasi immédiate alors que Suicide Squad ne sera jamais plus que la rencontre entre un restaurant mexicain trop épicé et David Ayer qui doit avoir le colon fragile.

« 4 ans déjà et tant de cauchemars »
Et au milieu de tant de matière fécale se dégage une espèce de consensus général qui voudrait nous faire admettre que cette Harley Quinn version cinéma détient un potentiel caché. Certes Margot Robbie fait de son mieux avec ce qu’on lui donne, mais on admire pas les cheminées du Titanic pendant qu’il coule.
Dans l’équation impossible, DC va sacrifier notre sidekick a l’appel du saint dollar. Et c’est depuis un vrai concours d’appendice à peine caché que se livre à distance les éditeurs, avec peu d’égard pour les dommages collatéraux.
Et c’est là le vrai sujet de réflexion du jour: à qui appartiennent ces personnages de la pop-culture. A leur inventeurs, bien sûr, mais on ne peut on pas parler de trahison quand DC fait preuve d’aussi peu de respect pour les amoureux de la première heure.
Pire, cette étape d’émancipation que l’on évoquait plus haut, et à laquelle on va confronter notre Arlequine ne va plus être que prétexte à des bouffonades en tout genre, des gags “tarte-à-la-crème-au-caca”. En pleine époque de débats autours des violences faites aux femmes, on aurait peut être dû tirer un récit plus profond qu’une simple rupture amoureuse entre la belle et son “Monsieur J”, sur fond de boîte à prout.
Trahison, c’est aussi ce que l’on peut ressentir aujourd’hui en parlant de Harley Quinn, car n’oublions pas qu’il n’y avait pas si longtemps, des versions adultes du personnage nous étaient données. Mention toute spéciale aux jeux vidéo de Rocksteady qui avaient eux choisi de transformer HQ en un monstre de cruauté derrière un maquillage glaçant.

Que reste-t-il de la belle aujourd’hui: un comics à son nom, qui tente d’enchaîner les gags “à la titeuf” pour masquer son manque d’intérêt général, un dessin animé, qui semble plus inquiet de respecter son quota de “fuck” par épisode plutôt que d’élaborer un scénario, et un retour sur les écrans de Margot Robbie.
Alors on ne va pas spéculer sur un film que nous n’avons pas encore vu (même si on s’attend au pire), mais la bande annonce de Birds of Prey permet un constat: si 2019 a consacré un Joker malaisant et mature, DC n’en a pas fini d’exploiter le filon de l’humour scabreux à travers Harley Quinn, et tant pis pour les vieux de la vieille, il faudra attendre encore quelques années.

« Bouhou! »